2021 vue par Lala &ce : “Je me bute à La Fontaine”
De son premier album, “Everything Tasteful”, à sa comédie musicale, “Baiser mortel”, conçue avec le producteur Low Jack et la chorégraphe Cecilia Bengolea, la rappeuse a démontré cette année qu’il fallait désormais compter sur et avec elle.
“Je me bute à La Fontaine.” Lala &ce a l’art de la punchline, c’est certain. Mais pas n’importe laquelle. Loin des saillies calibrées d’un Booba, avec métaphores explosivement musclées en mode triple salto arrière, Lala – comme on la surnomme souvent – est du genre spontanée, dans ses textes comme dans ses interviews. “Je te jure, Carole, il est trop chaud.” C’est ainsi que la rappeuse répond à notre question sur une lecture ou un film qu’elle aimerait retenir de cette année 2021.
Ce sera La Fontaine donc, dont les fables illustrées remplissent les étagères chez sa mère, où elle a pris la récente habitude de se réfugier après un trop-plein de travail ou de soirées. Cette passion pour les écrits du poète du XVIIe siècle dit une fascination pour l’art de la rime et les textes moralistes, comme un goût de l’enfance et du jeu solidement présents et prononcés.
Lala &ce cultive une ambivalence où se marient une esthétique ghetto moite, tendance stupre et cyprine, et un fol amour de la dérision, de l’insouciance et de la fête, de celles qui déboulent sans prévenir et vous envoient côtoyer les étoiles, histoire de repousser, encore un peu, toute injonction à adopter une idée normative du devenir adulte. Lala &ce n’est pas du genre à se coucher après un concert. Et peu importe si elle se trouve à Paris ou à Saint-Brieuc, dans les Côtes d’Armor.
Il faut profiter, s’amuser, s’exploser et explorer pour faire naître de nouvelles idées, de nouvelles visions. C’est ainsi qu’elle alimente son monde, en rencontrant des gens en soirée, “parfois sous influence”, cherchant, dans le lâcher-prise collectif, à absorber cette brume qui envahit tous ses morceaux, depuis son premier mini-album En attendant xx…, paru en 2017, et pour lequel on la rencontrait dans un studio à Paris, quartier Pigalle. À l’époque, la Lyonnaise multipliait les allers-retours entre Paris et Londres, où elle a habité un temps après le bac.
Chercher, tester, bouger, frotter
Quatre ans plus tard, Lala &ce a 27 ans et voit son talent enfin reconnu. Ce n’est pas faute de l’avoir martelé à qui voulait bien l’entendre : il y avait là une jeune rappeuse à l’audace pas bravache, qui proposait quelque chose d’autre, de différent, portant des textes marmonnés que l’on comprenait à demi-mot – ce qui ne les rendait que plus cryptiquement sensuels –, loin du rap game, de l’ode aux grosses voitures et aux piscines à débordement comme de la revendication politique.
Sur son premier album, Everything Tasteful, paru fin janvier 2021, Lala &ce parle de cul. Il n’y a pas à tergiverser : son rap est dévolu à l’amour physique et sentimental, avec des femmes, puisque Lala est lesbienne. Sur scène, elle tourne autour d’une twerkeuse affolante. Pas commun, une lesbienne dans cet univers encore hyper-macho.
“Je suis une représentation que je n’avais pas moi-même quand j’étais petite. À mon époque, il fallait le deviner. Là je peux le montrer à tout le monde, c’est cool. Ça aide de plus petits, des ados qui viennent me voir à la fin des concerts avec leurs appareils dentaires et tout. Mais ce n’est pas le but premier.” Et quel est le but premier ? “Me regarder tous les jours dans le miroir et être fière de moi-même.”
La confiance, Lala &ce la cultive soigneusement. C’est elle qui l’a portée ces dernières années, du collectif 667, où elle côtoyait Jorrdee et Freeze Corleone dans un univers de lean (boisson codéïnée), jusqu’à son propre collectif et label &ce Recless – un jeu de mots entre reckless (“téméraire”) et rec less”(“enregistrer moins”).
Si les années 1980 avaient Stinky Toys, Daho et autres Taxi Girl, les années 2020 ont, elles aussi, trouvé leurs jeunes gens modernes à travers la bande de Lala : Rad Cartier, Le Diouck, Bamao Yendé, Jäde, Andy 4000, Low Jack et bien d’autres, souvent sapé·es comme jamais, enjailleur·euses de l’éternel.
On les retrouvait en bonne partie dans la comédie musicale Baiser mortel, présentée fin octobre à Paris, à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, qui en a assuré la production. Une proposition ovni dans le paysage artistique actuel qui, bien que loin d’être aboutie, avait le mérite de chercher, de tester, de bouger, de frotter, de nourrir ce monde extraterrestre chapeauté par la majestueuse Lala &ce, qui compte bien “la pousser plus loin”, mais aussi signer un nouvel artiste sur son label.
Jeu collectif
Pour le moment, &ce Recless héberge Le Diouck, mannequin et artiste dont le look fait de perruques fluo, de slims en cuir, de maquillage et de torse nu rappelle l’Américain Yves Tumor, et dont la voix, si grave qu’elle en serait presque squelettiquement inhumaine, chante en wolof et souvent hors tempo. C’est son premier album, prévu pour 2022, et sur lequel elle a bossé, que Lala cite spontanément lorsqu’on lui demande ce qu’elle a retenu cette année côté musiques.
De toute façon, elle ne se souvient pas bien de son année. Juste, peut-être, de sa détermination à bosser malgré la pandémie et l’arrêt du live. Elle ne s’arrête d’ailleurs jamais, sauf pour sortir ou regarder des matchs de tennis, son sport favori (d’où le “&ce” accolé à Lala, un ace désignant un service gagnant sans que l’adversaire ne touche la balle).
En cette fin d’année, elle prévoit de passer le Nouvel An en Côte d’Ivoire, où elle est invitée à jouer et d’où sa mère est originaire. Peut-être y aura-t-il aussi Le Diouck, ce compère avec qui elle tourne la vie en dérision. Histoire que ça ne fasse pas trop mal. “Dans la rue, on me prend souvent pour un mec et lui pour une meuf. Ça nous fait marrer. On s’est trouvés dans notre différence.” Lala &ce est ce qui est arrivé de plus excitant à la musique en 2021. Et le sera encore certainement pour les années à venir.
Everything Tasteful (All Points/Believe)
En concert le 4 décembre à Lausanne (Les Docks), le 11 décembre à Sannois (EMB).