Bienvenue au “Boulevard des séries”, la résidence hollywoodienne pour scénaristes français
Le CNC, la SACD et la Writers Guild Foundation se sont associés pour créer “Boulevard des séries, La Fabrique”, une résidence d’écriture à Los Angeles destinée à incuber des projets de séries françaises à fort potentiel international.
“Et là on pourrait imaginer que Dev et Arnold se retrouvent impliqués dans une guerre territoriale entre deux Pères Noël de l’Armée du Salut, et qu’à cause d’un malentendu, ils se retrouveraient accusés de vol et jetés en prison”, propose, enthousiaste, un jeune scénariste français aux six autres qui l’accompagnent dans cette writer’s room unique en son genre.
Chacun rebondit sur les idées des autres, et en à peine une heure, c’est l’ossature d’un épisode virtuel de Master of None qui voit le jour, sous la direction joyeuse de Connor Pritchard, showrunner et scénariste de séries comiques (notamment Workaholics) venu là partager son savoir. L’exercice, particulièrement stimulant, est emblématique de ce qui s’est joué, en octobre à Los Angeles, sur le “Boulevard des séries, La Fabrique”.
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Des scénaristes chevronnés
Cette ambitieuse résidence a accueilli, trois semaines durant, dans la métropole californienne, sept scénaristes français (pour six projets), dans le but de les former aux méthodes américaines et de leur permettre, pourquoi pas, de vendre ici leur série – ou, à défaut, leur talent à d’autres showrunners. Chloé Marçais, Jean-Baptiste Delafon, Alain Moreau, Julien Teisseire, Mathieu Leblanc, Julien Anscutter et Maxime Berthemy (en duo), ont ainsi été choisis sur projet, parmi une soixantaine envoyés au comité de sélection franco-américain.
Tous sont déjà très expérimentés – la résidence n’est pas faite pour les débutants –, tous parlent, bien sûr, couramment l’anglais, et tous sont repartis éblouis par l’expérience. “Ce fut bien au-delà de nos attentes”, confie Jean-Baptiste Delafon, co-auteur de Baron noir et de Maison close, venu là avec une mini-série racontant le siège de Sarajevo. “On a beau avoir pas mal roulé notre bosse en France, on a rencontré des gens de très haut niveau ici.” Ce scénariste émérite avait déjà participé à une édition précédente de “Boulevard des séries” (la seconde, en 2018), mais celle-ci, précise-t-il, est foncièrement différente. “C’est plus long (trois semaines au lieu d’une), on est plus encadrés, et ce n’est pas seulement un stage d’observation : on vient défendre un projet, avec l’objectif que ça aboutisse à quelque chose.”
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Le pitch, un art hollywoodien
Le point fort de la résidence est en effet, de l’avis général des participants, la qualité de ses intervenants. Scénaristes et showrunners, agents et producteurs, c’est en tout une trentaine de professionnels hollywoodiens qui sont venus offrir leur expertise et leurs conseils au petit groupe de frenchies. À l’occasion de masterclass quotidiennes, tous les aspects du métier ont été évoqués, des contraintes de la writer’s room à la logique industrielle des studios, en passant par les différentes stratégies de carrière. Mais c’est le pitch, un exercice typiquement américain, qui les a le plus accaparés. “Ici, c’est une véritable religion, alors qu’en France, c’est plutôt sur lecture de scénarios ou de traitements que se prennent les décisions”, explique Maxime Berthemy, showrunner de plusieurs saisons de la série policière Profilage, et qui défend là, avec son camarade Julien Anschutter (OVNI(s)), une série sur l’homoparentalité.
Après plusieurs sessions d’entraînement, les résidents ont fini par pitcher leurs projets respectifs à Billy Ray, un grand scénariste qui leur avoue s’être plié des dizaines de fois à l’exercice, mais qui continue pourtant à répéter ses pitches devant son miroir, encore et encore, avant de se lancer dans l’arène. “La clé, c’est la préparation”, insiste ce spécialiste de films d’action (Capitaine Phillips, Hunger Games, Gemini Man, Terminator: Dark Fate, Flight Plan…) et de fictions politiques (The Comey Rule, Le Cas Richard Jewell, Jeux de pouvoir…). Derrière son bureau, le quinquagénaire leur donne à chacun entre cinq et quinze minutes, puis leur fait instantanément un retour. D’une précision laser. “Il est franchement impressionnant”, s’extasie Mathieu Leblanc, venu à Los Angeles avec un projet de série sur la guerre de 1914-1918. “Je ne sais pas comment il fait, c’est comme s’il avait quatre cerveaux.”
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À Hollywood, un scénariste ne peut se contenter d’être uniquement doué derrière un ordinateur, et d’envoyer le produit fini à un executive producer (ou chargé de développement) dans l’attente du feu vert. “Il faut savoir se vendre à l’oral, il faut être capable de trouver les bons mots, et de les formuler de la façon la plus percutante possible”, assume Michael D. Weiss, un autre scénariste venu mentorer les Français. “Il faut, en somme, être un acteur.” Cette culture de l’oralité, encouragée dès l’enfance aux États-Unis, est un impondérable pour quiconque aspire à travailler ici. La taille du marché explique aussi cette tendance, selon Weiss : “Vous savez combien de projets passent entre les mains d’un executive chaque année ? Des centaines. Ils n’auraient jamais le temps de tout lire. Leur temps est précieux, à vous d’en faire bon usage.”
Une compétition qui peut donner le tournis : à Los Angeles, dans chaque café, sur chaque table, il y a un MacBook qui contient (au moins) un projet de film ou de série. “Mais même si on ne repart pas d’ici avec un contrat d’auteur ou une promesse d’achat, c’est hyper formateur et encourageant de se confronter à cet environnement compétitif”, s’enthousiasme Chloé Marçais, co-autrice du Remplaçant (avec Joey Starr), qui aimerait trouver ici des partenaires pour faire exister sa comédie d’espionnage.
Une carte à jouer pour les Français
Outre les sessions de travail en groupe, qui se sont tenues à la Neuehouse (un “hub professionnel” très en vue, sur Sunset Boulevard, attenant au siège historique du network radiotélévisée CBS et à deux pas des locaux de Netflix), chaque résident s’est vu assigner un mentor qui l’a suivi tout au long des trois semaines. Eux-mêmes auteurs de séries, ils ont été recrutés, sur la base du bénévolat, par la fondation de la WGA, qui veille à l’émergence de nouveaux talents au sein de la puissante guilde des scénaristes hollywoodiens. Sa présidente, Katie Buckland, nous raconte que mentors et intervenants n’ont pas été “difficiles à convaincre, car c’est pour eux l’opportunité de rencontrer des homologues français, sur la base d’un échange sincère, qui peut déboucher sur des choses concrètes, pour eux aussi. C’est donnant-donnant”.
Le prestige culturel français joue encore à plein. Et comme l’explique Gaëtan Bruel, directeur de la toute nouvelle Villa Albertine (équivalent américain de la Villa Médicis, inaugurée fin septembre), qui chapeaute “Boulevard des séries” en collaboration avec la SACD, le CNC et la WGA, “dans un contexte d’explosion des contenus, où la barrière des sous-titres s’amenuise et où des succès peuvent provenir de n’importe où, la France a des arguments à faire valoir”. Les phénomènes Squid Game ou Lupin (sur Netflix) ont montré que des contenus très locaux dans leur sujet pouvaient devenir des succès mondiaux – à condition de se plier à une certaine forme, qu’on peut évidemment juger conformiste.
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L’idéal d’une résidence comme “Boulevard des séries” serait alors de combiner le meilleur des deux mondes : l’art et le marché, l’originalité et le succès… “On ne va pas se réjouir trop tôt, prévient le diplomate, mais cette édition a été pivot, dans la mesure où la France commence à apparaître comme un pays qui compte dans le monde des séries.” Jean-Baptiste Delafon confirme qu’il y a trois ans, lorsqu’il est venu ici pour la première fois, “personne ne pouvait citer la moindre série française ; cette fois c’était différent, tout le monde en connaissait au moins deux ou trois”.
Cette nouvelle mouture du “Boulevard des séries” sera donc jugée sur sa capacité à faire émerger des talents français dans un marché mondialisé. Et cela passe nécessairement, aujourd’hui, par les plateformes américaines (Netflix, Prime Video, HBO Max, Apple TV+, Disney+), qui ont désormais toutes des bureaux à Paris et cherchent des projets à fort potentiel international.
S’il est encore un peu tôt pour faire le bilan, il est notable que la moitié des résidents de 2021 avaient déjà reçu des propositions à l’issue de leur séjour. Pas forcément pour son projet personnel, mais pour mettre un pied dans l’industrie. Un des auteurs s’est ainsi vu proposer une place dans une writer’s room, un autre a tapé dans l’œil d’une célèbre productrice de films de genre et un troisième pourrait voir son projet retenu par la société de production de son showrunner favori… Un boulevard s’ouvre-t-il pour les créateurs de séries françaises ?