“Curb Your Enthusiasm” saison 11 : Faut-il encore aimer Larry David ?

Voilà 21 ans que Curb Your Enthusiasm (Larry et son nombril en vf) balance ses gags agressifs, burlesques, antisociaux et dépressifs sans en avoir l’air. Deux décennies, c’est énorme, surtout pour une série qui n’a rien d’un soap opera à personnages multiples – en Angleterre, l’un d’eux, Coronation Street, fête ses soixante et quelques printemps. C’est d’autant plus impressionnant que globalement, il se passe la même chose depuis onze saisons, comme il se passait à peu près la même chose dans tous les épisodes de Seinfeld auparavant. Peu d’événements, donc, mais des engueulades à n’en plus finir à la caisse des supermarchés, des raisons de hurler sa mauvaise humeur, des histoires quotidiennes aussi vitales que futiles – à moins que ce ne soit l’inverse. Pour rappel, Larry David, créateur et acteur principal de Curb…, fut avec Jerry Seinfeld le co-créateur de la sitcom la plus statique et néanmoins hilarante des années 1990, mère d’un humour juif new-yorkais travaillé à la haine de soi et des autres (et dispo sur Netflix). Tout un programme, qui finit par devenir généreux à force de faire du rire la seule morale possible en ce bas-monde.

La vie de Larry

Malgré tout ce qu’on aime chez lui, voir Larry David marcher dégingandé (un atour burlesque évident, issu du cinéma muet) à l’âge de 74 ans dans les rues de Los Angeles, pour se plaindre d’à peu près tout, est-il vraiment nécessaire ? Celles et ceux qui avaient lâché la série il y a quelques années peuvent se poser légitimement la question en tombant sur un épisode actuel, tant les ressorts sont identiques. La vie de Larry – le personnage principal de la série est donc Larry David, créateur de Seinfeld et multimillionnaire, dans son propre rôle – s’est même recroquevillée sur ses acquis. Depuis son divorce, le grand échalas vit dans son immense maison de Beverly Hills avec un coloc, Leon Black (J.B. Smoove). Il lance parfois des projets. Cette saison, il se met en tête de créer une sitcom inspirée de sa propre vie, intitulée Young Larry.

Cette histoire, mêlée à une sombre affaire de clôture de protection pour piscine, débute par des scènes hilarantes dans les bureaux de Netflix en Californie et se déploie dans les dix épisodes, en attendant une résolution forcément décevante dans les toutes dernières minutes. Car tel est Larry David : non seulement il n’aime personne, mais il n’en a à peu près rien à faire de tendre le récit comme le font ses camarades de nombreuses séries contemporaines. Il s’ébroue dans un monde parallèle où la précision des gags et l’improvisation de séquences en roue libre (l’étrange mélange de Curb Your Enthusiasm est d’abord celui-là) vaut plus que tout. Ses obsessions – le privilège blanc, la mémoire des traumas juifs, l’insupportable légèreté des autres – entrent dans ce moule en permanence. Larry garde le seul cap qui l’intéresse, quitte à lasser.

Memento mori

Le seul changement dans cette continuité apparente est aussi la principale raison de continuer à regarder Curb Your Enthusiasm. Alors que l’âge avance, Larry multiplie les subterfuges pour défier la mort. Il se met en scène en septuagénaire fringant qui a tout juste besoin d’aller chez l’ostéo. Mais dans le même temps, il sature cette saison d’annonces de morts et d’enterrements, dont l’un est même une répétition avant le vrai grand saut, quand Albert Brooks regarde depuis une chambre secrète ses ami·es qui miment leur douleur lors de ses propres funérailles. L’une des répliques les plus drôles de la saison est dirigée vers son ami Richard Lewis, quand Larry déteste ses fringues et lui lance : “Mais pourquoi tu ne meurs pas ?” Le moment est intense, hilarant et choquant. Un bon résumé de ce que nous procure encore cette série qui pourrait durer mille ans, aussi longtemps que Dieu prêtera vie à Larry David.

Curb Your Enthusiasm (Larry et son nombril) saison 11. Sur OCS et MyCanal.