“Don’t Look Up”, le film d’Adam McKay va-t-il changer le monde ?
Un film peut-il changer le monde ? C’est l’ambition de “Don’t Look Up”, la farce d’Adam Mckay sur le réchauffement climatique, sortie la veille de Noël sur Netflix, et qui n’a cessé depuis d’alimenter les conversations, tant cinématographiques que politiques.
Pour quiconque a passé plus de cinq minutes sur les réseaux sociaux depuis Noël, impossible de ne pas avoir vu passer ces trois mots : Don’t Look Up.
Sortie sur Netflix, dans le monde entier, le 24 décembre, cette satire d’Adam McKay allégorisant le déni climatique est devenue un phénomène social, qui dépasse de loin le cadre habituel des discussions cinéphiles. Lorsqu’un oncle avec qui vous n’avez pas parlé de cinéma depuis vingt ans vous écrit pour vous demander ce que vous pensez d’un film, c’est le signe que quelque chose se passe.
Succès d’audience
Don’t Look Up est d’abord un succès public, comme désormais seule la première plateforme de streaming – ainsi que Disney-Marvel avec un autre modèle économique – est capable d’en produire à une telle échelle. C’est sa force : créer un semblant de mainstream, à l’heure où la culture ne cesse de se fragmenter en niches étanches les unes aux autres. Au bout de trois jours, selon une information Netflix (invérifiable, donc, comme toujours), pas moins de 111 millions de minutes du film avaient été vues dans le monde, faisant de lui le numéro un sur la plateforme dans 94 pays. On ignore cependant combien de foyers (et a fortiori de spectateurs) y ont goûté – forcément plus que 47 millions, le film durant 2 h 20 et la règle de trois étant notre amie.
C’est par conséquent un succès massif, mais pas un record : Red Notice, sorti il y a bientôt deux mois, avait cumulé 149 millions de minutes sur la même durée. Cependant, en matière d’impact, les deux n’ont rien à voir : ce navet boursouflé avec Dwayne Johnson, Ryan Reynolds et Gal Gadot ne laissera à l’évidence aucune trace dans la culture. À regarder la liste des Netflix Originals les plus successful, il est d’ailleurs frappant de constater à quel point aucun n’a laissé la moindre trace. Qui se souvient de Bird Box ou de Tyler Rake ?
Un débat sans précédent
Ce ne sera pas le cas de Don’t Look Up qui, quoi qu’on pense de ses qualités ou de ses défauts, est en train de générer un débat sans précédent – de récente mémoire en tous cas. Un débat peut-être éphémère et vain, qui s’évanouira dans les jours prochains, comme tout le reste, une fois son élan épuisé, mais qui aura marqué cette fin d’année comme aucun autre film ne l’avait fait depuis longtemps – bien plus que n’importe quel blockbuster, tous tournant comme des hamsters sur leur roue pop-culturelle.
Si nous ne disposons pas encore d’analyses quantitatives (engagement sur les réseaux sociaux, nombre de clics sur les innombrables articles qui évoquent le film, etc.), nous pouvons raisonnablement avancer qu’Adam McKay, qui voulait d’abord mettre sur la table le sujet du réchauffement climatique, a réussi son pari de ce point de vue-là.
Cependant, la critique américaine, qui a toujours plutôt bien accueilli les films du réalisateur d’Anchorman, de The Big Short et de Vice (et du producteur et occasionnel réalisateur de Succession), a réservé à celui-ci un accueil maussade : 50 sur Metacritic, 55 sur Rotten Tomatoes. Le public, en revanche, semble satisfait, à 77 % sur l’agrégateur à la tomate. En France, l’accueil de la presse est bien plus chaleureux, avec une note presse de 3,9 sur AlloCiné (Les Inrocks étant les plus sévères).
Naturellement plus tourné vers les réactions de son propre pays, Adam McKay s’est agacé, sur Twitter, de l’accueil tiède réservé à son film par certains : “J’adore le débat animé sur notre film. Mais si vous n’avez pas au moins une petite crainte de voir le climat s’effondrer (ou les États-Unis vaciller), je ne suis pas sûr que Don’t Look Up ait un sens. C’est comme si un robot regardait une histoire d’amour. “POUrquOi LEurs vISAgEs soNT-iLs sI rAPProCHéS ?”
Un film qui s’adresse d’abord à l’Amérique
Si sa réaction peut de prime abord paraître infantile, elle cible en réalité moins les critiques professionnel·les (le réalisateur se félicitant du “débat animé”) que les climato-sceptiques, bien plus présents aux États-Unis que dans le reste du monde, et plus largement le silence qui entoure la crise climatique, même parmi ceux qui disent s’en préoccuper.
Vivant à Los Angeles, dans une bulle pourtant progressiste, je peux confirmer que c’est très rarement un sujet de conversation. Et c’est ainsi d’abord au public américain que le film s’adresse – paradoxe d’une culture mondialisée sous le patronage de mastodontes yankees – dans un contexte où le président Biden ne parvient pas à faire voter sa loi Build Back Better, visant entre autres à réduire les émissions carbone. Coécrit par le journaliste David Sirota, qui a longtemps conseillé Bernie Sanders, le film est instantanément devenu un cri de ralliement dans les sphères progressistes, ainsi que pour certains climatologues essayant d’alerter vainement depuis des années. En somme, pour eux, Don’t Look Up nous montrerait la Lune, et les idiots regarderaient le doigt…
Résonance avec la Matrice
Il est en tous cas notable que Don’t Look Up ait débarqué sur les petits écrans à peu près au moment où Matrix Resurrections est arrivé sur les grands. Et tandis que le premier cartonne sur Netflix, le second est un four, avec seulement 70 millions de dollars au box-office mondial après une semaine d’exploitation – chiffre à tempérer par le fait que le film est sorti en simultané sur HBO Max aux États-Unis, où 2,8 millions de foyer l’ont streamé.
Les films d’Adam McKay et de Lana Wachowski ont ceci en commun qu’ils ambitionnent de dévoiler les puissants mécanismes psychologiques, sociaux et politiques qui nous empêchent de présider à nos destinées. Mais là où Wachowski affirme qu’on ne sort finalement jamais du spectacle, que sa dénonciation n’en est qu’un moment, une perturbation qui participe en fait de son équilibre, et que la solution, si elle existe, passe par une profonde reprogrammation de soi, McKay semble croire sincèrement en la capacité de sa fiction à éveiller les esprits, et à faire basculer l’Histoire. Et tandis que la première nous montre à la fin de son film une possible porte de sortie, le second nous laisse pantelant et en colère, désespéré·es par notre inaction collective. L’une ou l’autre parviendront-iels à nous réveiller en 2022 ?