Fini de rigoler : la meilleure version de Blanche Gardin est résolument spleenétique
L’humoriste se retire du monde de la scène… le temps d’une mini-série. Moins drôle que troublant, “La Meilleure Version de moi-même” se joue des ressorts de l’ironie pour livrer un point de vue sur la dépression. Saisissant.
Il y a un peu moins d’une décennie, alors qu’elle avait foulé les planches du Jamel Comedy Club, Blanche Gardin explosait tout dans la comédie féminine Workingirls pour Canal+, apportant à cette satire de la vie de bureau sa noirceur tranchante. Depuis, ses trois spectacles de stand-up ont fait d’elle une star du rire.
Mais on se languissait du retour de sa férocité sur petit écran, tant le format introspectif de la série de 30 minutes contemporaine semblait fait pour elle. Il aura fallu attendre 2021 et une pandémie pour être exaucé·es. Certain·es ont le talent d’arriver quand on ne les attend plus, au moment où tout va mal.
En partie improvisée, La Meilleure Version de moi-même met en scène Blanche Gardin dans son propre rôle, celui d’une humoriste célèbre et acerbe, suivie par une équipe documentaire – un gimmick très années 2000, merci The Office. Mais ni la gloire ni le succès ne figurent au programme : plutôt une extraction progressive du monde.
Blanche se plaint d’horribles douleurs au ventre. Après consultation d’un naturopathe, elle décide d’arrêter la scène. Son point de vue trop dur fait du mal aux autres et à elle-même, elle doit cesser d’utiliser sa propre souffrance pour gagner quelques rires.
Ce pitch ravageur, les plus habitué·es à la comédie contemporaine en ont déjà entendu une version dans Nanette, le spectacle de stand-up séminal de l’Australienne Hannah Gadsby en 2018. La Meilleure Version de moi-même en est à la fois l’aboutissement et le contrechamp ultime, ce qui n’est pas une mince affaire.
Alors que Gadsby incarne de façon militante les causes LGBTQIA+ et féministes, Blanche Gardin part d’une tout autre subjectivité. En neuf épisodes, son personnage d’ultra-narcissique désagréable s’éveille à ce qu’elle appelle le “féminin sauvage” – un livre à ce sujet dirigé par Tami Lynn Kent a été traduit en français en 2017. De plus en plus concernée et radicale, elle crée même un compte Insta, citant Sorcières de Mona Chollet et organisant des retraites “en sororité”.
Une parodie du féminisme radical ?
En parallèle, Blanche met en scène sa relation avec Louis C.K., l’humoriste américain qui a admis des faits d’exhibition sexuelle – Gardin et Louis C.K. se sont effectivement fréquenté·es à partir de 2018, produisant même un podcast en commun. Une séquence avec des colleuses d’affiches féministes, présentées comme agressives et pleines de jugement à son égard, achève de jeter un trouble. Nous marchons constamment sur un fil.
Quel trouble dérange le bon ordonnancement des vies simples et des idées claires ? Voilà précisément ce qui occupe Blanche Gardin, de façon à la fois directe et métaphorique, dans cette série où l’ironie, la gêne et la cruauté ne cessent de griffer. Mais en même temps qu’elle marque sa distance avec les versions les plus actuelles du féminisme, la coscénariste (avec Noé Debré, son compère d’écriture de Problemos, qui évoquait des sujets proches) et réalisatrice se met en scène dans toute sa solitude, en tant que quadra sans enfants, à la recherche désespérée de liberté et de sens.
La maladie mentale
Dans sa première moitié, La Meilleure Version de moi-même avance de façon relativement classique (dans les standards de Blanche Gardin, s’entend), organisant la rencontre étrange des spectacles de l’humoriste avec le souvenir du Journal intime de Nanni Moretti. On rit souvent, comme à la fin du quatrième épisode, sommet de parodie guerrière qui semble même stupéfier Louis C.K., par Zoom interposé. Et puis, Blanche Gardin choisit de respecter son programme : arrêter de faire rire.
Dans son mouvement final, la série devient l’exploration d’une chute dans les abîmes du mal-être. On pensait avoir face à nous un commentaire ironique sur le féminisme radical et le développement personnel, mais c’était d’abord un point de vue frontal sur la dépression et la maladie mentale qui déployait son spectre. L’héroïne avait pourtant prévenu dès l’épisode 3 avec ce dialogue glaçant : “Je sens que je pourris de l’intérieur.” La Meilleure Version de moi-même ou la feel-bad série ultime, un pur cri (référence à Edvard Munch comprise) qui ne peut laisser indifférent·e.
La Meilleure Version de moi-même de et avec Blanche Gardin, et Louis C.K., Françoise Gazio. Sur MyCanal tout le mois de décembre.