James Webb, la mission de la Nasa à 10 milliards d’euros et 344 scénarios d’échecs
ESPACE – L’échec n’est pas une option. Si le télescope spatial James Webb a bien décollé du centre spatial européen de Kourou, il est encore trop tôt pour crier victoire. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus, pas moins de 344 défaillances listées par la NASA menacent en effet la mission. Ces centaines de périls potentiels ont justifié les multiples retards du lancement du plus grand télescope jamais envoyé dans l’espace.
Avec ses 6,5 tonnes, son pare-soleil de la taille d’un court de tennis et son miroir dépliable de plus de 6 mètres de diamètre, ce télescope spatial construit en origami constitue déjà un exploit technique. La mission a été développée pour un budget d’environ 10 milliards de dollars.
Présenté comme le successeur du télescope Hubble, lancé en 1990, le James Webb Space Telescope (JWST) explorera avec une précision inégalée toutes les phases du cosmos, jusqu’aux premiers âges de l’Univers et la formation des premières galaxies. “L’ambition scientifique c’est d’envoyer le plus grand télescope possible dans l’espace. Plus il est grand, plus on peut regarder loin dans l’univers, ainsi que de détails dans les images observées”, expose au HuffPost Olivier Berné, chercheur du CNRS à l’Institut de Recherche en Astrophysique et planétologie.
Mais avant d’en arriver là, James Webb devra commencer par se déployer totalement. La hantise pour la communauté scientifique serait que l’un de ces enchaînements se bloque, rendant potentiellement la mission totale inopérante. Surtout que l’orbite visée par JWST est située à 1,5 million de km de la Terre. Alors sauver le télescope une fois en orbite représenterait “une nouvelle prouesse d’un point de vue technologique”. Quasi inimaginable.
“De manière générale, dans le spatial on n’aime pas les mécanismes, rappelle Olivier Berné. Il y a certains enchaînements qui font que si vous avez un mécanisme qui ne fonctionne pas, ils mettent en danger les suivants”. Et sur cette mission, cela commence 28 minutes après le décollage du télescope . S’ouvrira alors ce que la Nasa a qualifié de “séquence de déploiement la plus complexe jamais tentée lors d’une seule mission spatiale”.
Et si l’un des maillons bute, c’est l’ensemble de la chaîne qui pourrait à son tour se bloquer. Parmi les “344 points de défaillance ponctuelle” anticipés, environ 80% sont associés au déploiement. Celui-ci va durer durant les deux premières semaines de la mission, pendant le trajet du vaisseau vers son point d’orbite.
Il faut dire que le JWST sera le plus grand et le plus puissant télescope jamais lancé dans l’espace. Il a donc fallu le plier afin de l’intégrer à la fusée Arianne 5, chargée de le lancer dans l’espace.
On ne peut pas avancer dans la connaissance de notre Univers sans prendre un minimum de risque.”Olivier Berné, chercheur du CNRS à l’Institut de Recherche en Astrophysique et planétologie
Il y a 144 évènements critiques à passer pour que la mission soit complètement déployée. Par exemple, “si le bouclier thermique ne se déploie pas du tout, là ça devient assez critique” alerte Olivier Berné. Le bouclier thermique est responsable du refroidissement du télescope spatial. Sans lui, “il aura du mal à descendre à une température suffisamment basse pour pouvoir fonctionner de manière optimale. Cela voudrait dire qu’une grosse partie des instruments ne va pas pouvoir marcher totalement, voire pas du tout”.
L’un des mécanismes les plus importants est celui du miroir secondaire, qui doit renvoyer la lumière. “Là, si on n’a pas de déploiement du miroir secondaire, on ne peut pas observer tout simplement. Ce serait extrêmement critique”.
Sur certains mécanismes, il y a quelques incertitudes puisque tout est nouveau, et que rien de tel n’a jamais été fait auparavant. “Dans des projets comme ça, aussi ambitieux, il faut prendre risques. On ne peut pas avancer dans la connaissance de notre Univers sans prendre un minimum de risque”, justifie le chercheur du CNRS.
Plus de précautions que pour Hubble
Bien que James Webb soit présenté comme le “grand frère” du télescope Hubble, son lancement “n’a rien à voir” confie Olivier Berné. ”À l’inverse de Hubble, qui avait subi une quantité insuffisante de tests, Webb a vraiment été optimisé. Tout a été testé. Là, sur Terre, il fonctionne parfaitement”, ajoute-t-il.
En effet, la Nasa a pris des précautions maximales pour ne pas reproduire une erreur comme celle qui a été faite sur Hubble. On se souvient du raté des débuts du télescope lancé en 1990, devenu pleinement opérationnel trois ans plus tard. Son miroir principal présentait un défaut et condamnait Hubble à la cécité. Il avait alors fallu envoyer une navette spatiale pour corriger le problème.
La très grande complexité du nouveau télescope JWST, les moyens mis en place pour sa construction et l’importance considérable de ses missions expliquent les multiples retards de son lancement. Maintes fois repoussé, il était initialement prévu pour 2007.
“L’un des derniers retards illustre bien les précautions qu’ils prennent. Un collier de serrage, qui maintient Webb au launch vehicle adapter (utilisé pour insérer l’observatoire dans l’étage supérieur de la fusée Ariane 5) a lâché et donc ça a fait vibrer le télescope” raconte Olivier Berné. Des tests supplémentaires ont donc été requis pour “déterminer avec certitude que l’incident n’a endommagé aucune des composantes”, avait ajouté la Nasa.
Une odyssée lointaine pour le réparer
L’orbite visée par Webb n’a pas non plus grand-chose à voir avec celui de Hubble. Ce dernier opère à 575 km de la Terre, alors que son successeur s’éloignera de 1,5 million de kilomètres de notre planète. À la différence de Hubble, il sera donc bien plus difficile d’organiser une opération de sauvetage.
“Une telle mission paraît a priori très peu envisageable mais pas impossible. S’il fallait y penser, ce serait une mission robotique et certainement pas habitée, commente le scientifique. On envoie bien des atterrisseurs sur des astéroïdes donc c’est quelque chose qu’on pourrait imaginer. Surtout dans la mesure où c’est un instrument qui a coûté très cher”.
Effectivement, après avoir résolu la faisabilité technique de la mission, se posent les questions économiques. En clair, “savoir si la mission coûterait plus ou moins cher que de refaire un instrument” interroge l’astrophysicien. Mais on peut aussi espérer que tout se passe bien pour James Webb.
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