“Jane par Charlotte” : un double portrait teinté de pudeur et de mélancolie
L’une filme pour mieux regarder l’autre, et toutes deux tentent de percer le mystère de l’amour filial…
Avant Charlotte Gainsbourg, c’est Agnès Varda, qui dans Jane B. par Agnès V. (1988) pointait sa caméra vers Jane Birkin et construisait son merveilleux (auto)portrait. À travers un patchwork d’images jouant au faux (le déguisement, l’artifice) pour trouver le vrai (l’intime), l’amie Varda faisait scintiller les mille visages de l’Anglaise, passée d’icône du Swinging London à égérie de Saint-Germain-des-Prés. C’est aujourd’hui sa fille Charlotte qui s’attelle à l’exercice.
Comme Varda, elle choisit de rendre anonyme les prénoms et inscrit dans le titre de son film ce “par” qui dit l’importance du lien et de la place de celle qui regarde. C’est la première qualité de ce (double) portrait – et premier film en tant que réalisatrice pour Charlotte Gainsbourg – que d’assumer pleinement la part sensible et ultra-émotive de son objet d’étude : la relation d’une fille à sa mère, femme dont la vie n’a eu de cesse d’être médiatisée au point de s’inscrire dans l’imaginaire collectif comme un roman graphique national à l’élégance suprême.
Entre timidité, réserve et trop-plein d’images
Marquée par ce trop-plein d’images, elle qui en fut aussi l’objet dès l’enfance, Charlotte Gainsbourg perpétue ici, d’une certaine façon, cette tradition familiale de la surexposition – sa mère a récemment fait publier ses journaux intimes tandis qu’elle-même s’apprête à faire de la maison de son père, rue de Verneuil, conservée parfaitement en l’état, un musée, qu’elles visitent, émues, dans une séquence poignante au milieu du film – mais elle en complexifie la portée voyeuriste.
Comme si, en cherchant à démêler la pudeur qui les lie (se souvenir de ce beau moment où Jane B. explique à Charlotte G. combien celle-ci l’a toujours intimidée), en se glissant dans la peau de celle qui interroge, avec cette réserve qui ne force jamais la confession, Charlotte Gainsbourg résolvait un peu du mystère de sa propre timidité que seul le cinéma pourrait abolir.
Au début du film, elle confesse : filmer sa mère est un prétexte pour la regarder “comme jamais je t’ai regardée ou j’ai osé te regarder”. L’intrusion de la caméra dans ce rapport mère-fille pourtant solide autorise les deux femmes à se parler au présent du passé : des regrets, de la maladie, de la vieillesse qui apparaît brutalement et puis des mort·es si vivant·es.
La mélancolie du temps qui passe
Dans ce dialogue, le film ne cherche pas de réponses mais tente de comprendre et d’étudier le mystère et l’innommable de l’amour filial, de ses zones d’ombre. Dans une séquence de shooting photo, Charlotte photographie en gros plan le visage et les mains de Jane, comme si elle voulait pénétrer sous sa peau, retourner dans son ventre pour s’y blottir.
“Aujourd’hui, j’aurais besoin que tu m’apprennes à vivre, que tu me réapprennes comme si j’avais pas compris, comme si c’était qu’une répétition.” Charlotte Gainsbourg
“J’ai pas envie de m’affranchir, j’ai envie de me coller”, dira-t-elle à la fin, ou “aujourd’hui, j’aurais besoin que tu m’apprennes à vivre, que tu me réapprennes comme si j’avais pas compris, comme si c’était qu’une répétition”. Jane par Charlotte est aussi porté par cette belle idée que rien, et surtout pas les liens familiaux, n’est naturel.
Il est aussi inévitablement habité, comme ces paysages de plages bretonnes en hiver où Jane, sa fille Charlotte et sa petite-fille Joe se posent entre deux tournées au Japon et à New York, d’une profonde mélancolie, celle du temps qui passe contre lequel on ne peut rien, si ce n’est bâtir des mausolées à celles et ceux que l’on aime… en marbre ou en pellicule.
Jane par Charlotte de Charlotte Gainsbourg (Fr., 2021, 1h28). En salle le 12 janvier.