la sensuelle prière poétique d’Adlyne Bonhomme – AyiboPost

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Ce texte relève du voyage sensuel, de l’invitation à porter œil sur le brasier intime qui naît et grandit entre deux âmes qui rêvent de fusion

Le titre est trompeur : la plume d’Adlyne Bonhomme n’a nullement l’intention de se pencher sur la transcendance mystique, sur le génie des constructeurs gothiques ni sur la situation humaine vaguement adoucie par l’artwork religieux.

Sublimer l’amour sied mieux à sa langue concise et imagée : les longs pensums trouveront d’autres auteurs à torturer.

Son « Éternité des cathédrales » relève plutôt du voyage sensuel, de l’invitation à porter œil sur le brasier intime qui naît et grandit entre deux âmes qui rêvent de fusion. Passion folle et voix singulière au singulier, les mots de la jeune poétesse attrapent la principal du lecteur sans trembler et l’entraînent dans les vagues du désir, des non-dits suggérés, les forces de la nature servant d’écrin aux amants.

« Me voici blessure accrochée
sur la fenêtre de ton corps
Gravée sur ta lune
Enroulée dans tes regards
Comme tes frais baisers sur ma langue

Me voici geste dans le vide
Je suis la ville
Tressée de cris dans le doute
Me voici rêve et soleil amer
Raconte-moi le jour
Dans l’alphabet de la cendre»

Chaque réveil, chairs collées l’une contre l’autre, est une promesse de renouvellement. Lui devient obsession, besoin very important. Promesse d’éternité. Sur les draps froissés les plumes inspirées composent à tour de rôle, salives-encres, les poèmes silencieux, corps abandonnés devenus papiers. Les soupirs, seuls, en sont les divins refrains. Pupilles dilatées, pactes sacrés. Le corps créole invoque l’Afrique, l’homme s’y retrouve les paupières closes, confiance à la fois mâle et enfantine.

« Nous avons construit la nuit
D’un baiser mauve
En fleurs poussées
sur nos lèvres en vacances
Sur nos effleurements
timides dans la brise
Nous avons bâti
notre cathédrale sur la sueur »

Printemps froissés, Champ de Mars angoissé, la ville et ses drames demeurent, ni ignorés ni amoindris, mais soudain les mains de l’homme, « deux amandes à récolter», écrivent mille gestes sur la peau frissonnante, «mille caresses rondes », et font croire, un on the spot, à la sécurité du monde.

« La ville je n’en veux plus
de ces nombreuses douleurs
Je n’en veux plus
de ces mains nues
Je n’en peux plus du rêve rêveur

J’en veux du réel qui libère
Mille pas faïences
J’en veux ta couleur
étoile noire»

« La longueur de son rire », sa respiration, sa « langue nue» et même sa solitude : portrait de l’aimé par touches nuancées ; ses pensées sombres, elles, abandonnent le particulier pour rejoindre celles de l’île. « Rêve blanc » : exil ? Le vrai rêve est coquillage, mais le réel lui est plombé. Les deux amants, au son des vagues en bordure de mer, marchent sur la terre noire, aspirent à la Li-ber-té. La vue de l’océan, son immensité, paraît inspirer autant la crainte (d’un départ non désiré) qu’une supply de régénérescence, quasi organique.

« J’adopte tous les matins
Tous les soirs
Les quatre saisons de ton rire»

Comment pendre le désastre ? L’intime et le poids de l’Histoire se mêlent, l’un écrasera-t-il l’autre ? Paume de fer réputée intraitable. Comment sauver l’intime, sauver l’histoire ?

« Viens
Nous inventerons nos propres jours
Viens
Attends-moi dans l’aube
Nous serons nègre
Et négresse
Nous serons esclaves de nos baisers »

« Elle exalte la ardour avec une retenue austère. Elle laisse entrevoir l’aube d’une fierté, moderne et assurée, sur une souffrance immémoriale. De ses mots naît une magie où prennent vie des corps splendides, dans une lumière nègre», dit d’Adlyne Bonhomme l’auteure Sylvaine Reyre.

Et c’est vrai que le lecteur referme le recueil en ayant l’impression de les avoir vus, visualisés, ces deux corps flamboyants, amoureux, noirs, beaux. Bien que la poétesse n’en fasse pas du tout une description explicite. Tout l’artwork de cette jeune artiste définitivement à suivre (elle a dernièrement participé à la nouvelle revue Davertige) est ici : évocation et puissance des photographs en une économie de mots impressionnante, dire l’intime, l’érotique, sans indécence ; révéler le couple sans niaiserie, mais au contraire avec une finesse psychologique remarquable, langage des silences, des gestes, des légers soubresauts.

« Jouissives souffrances jetées au silence de la mer. Encre noire sur peau noire, perles de sueurs bleues de nuit, perdues dans la ville assassine et meurtrie»

« L’éternité des cathédrales »  d’Adlyne Bonhomme, aux éditions de la Rosée, se trouve par exemple à la librairie de la Pléiade à Port-au-Prince

Frédéric L’Helgoualch vit à Paris. Il écrit des critiques littéraires et a découvert la riche histoire et la foisonnante littérature d’Haïti à partir d’un livre de Makenzy Orcel, ‘Maître Minuit’. Depuis il tire le fil sans fin des œuvres haïtiennes. Il a publié un recueil de nouvelles, ‘Deci-Delà, puisque rien ne se passe comme prévu’ et un e book érotique photos-textes, ‘Pierre Guerot & I’ avec Pierre Guerot.

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