Le Couronnement de Poppée à Aix, ou le triomphe de l’amoralité
Plus de détails
Aix-en-Provence. Théâtre du Jeu de Paume. 15-VII-2022. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Le couronnement de Poppée. Opéra en un prologue et trois actes. Livret de G-F Busenello. Version de Venise (1650). Mise en scène : Ted Huffman. Décors : Johannes Schütz. Costumes : Astrid Klein. Lumière : Bertrand Couderc. Avec : Jacquelyn Stucker, Poppea ; Jake Arditti, Nerone ; Fleur Barron, Ottavia, Virtu ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Ottone ; Alex Rosen, Seneca ; Miles Mykkanen, Arnalta, Nutrice, Famigliare I ; Maya Kherani, Fortuna, Drusilla ; Julie Roset, Amore, Valetto ; Laurence Kilsby, Lucano, Soldato, Famigliare II ; Riccardo Romeo, Liberto, Soldato II ; Tribuno ; Yannis François, Littore, Famigliare III. Cappella Mediterranea. Direction musicale : Leonardo García Alarcón
Contrastant avec une programmation aux accents trop souvent morbides, l’opéra tragi-comique de Monteverdi donné au Festival d’Aix-en-Provence apporte un vent de fraîcheur au théâtre du Jeu de Paume.
Le dernier opéra de Monteverdi a une place à part dans la production du génial compositeur vénitien. Alors qu’il est maître de chapelle à St Marc, le vieux clerc nous livre ici une fresque de passions humaines, libérée de toutes références moralisatrices, qui flirte avec un érotisme latent. On sait que la partition doit beaucoup aux apports des élèves du vieux maître (dont Cavalli et Frascati), et cela ouvre la voie à tous les opéras baroques italiens qui suivront. C’est aussi le premier opéra qui quitte le monde des mythes pour s’inspirer d’un sujet historique. Et surtout, il mêle subtilement sublime et grotesque, présageant ainsi de ce que sera l’opera buffa du siècle suivant. Ce monde-là, Leonardo García Alarcón le connaît parfaitement, lui qui nous a fait découvrir La finta pazza de Sacrati et l’Erismea de Cavalli. C’est en s’appuyant sur un continuo d’une exceptionnelle richesse et d’une grande variété qu’il caractérise chaque personnage et accompagne les différents affects d’une palette subtile : trois clavecins (dont l’épinette jouée par le chef), deux orgues, une harpe, deux violes, deux théorbes (et guitare), une contrebasse, autant de combinaisons possibles pour des couleurs instrumentales infiniment variées et une très grande liberté de réalisation de la basse continue.
La mise en scène de Ted Huffman prend le parti d’un naturel dépouillé, sur un plateau quasi nu où les rares changements de décors et de costumes se font à vue. On s’interroge vainement sur la présence d’un tuyau géant peint en noir et blanc suspendu à l’horizontale au-dessus de la scène : est-ce un symbole du bien et du mal, ou celui de la menace du destin ? Son utilité et sa signification nous échappent… Les chanteurs ne quittent jamais le plateau et demeurent en fond de scène lorsqu’ils se taisent, donnant à la mise en scène des allures de jeu de rôles.
La distribution vocale est somptueuse. Dès le prologue, les trois sopranos (la Vertu de Fleur Barron, la Fortune de Maya Kherani et l’Amour de Julie Roset) rivalisent de puissance et de présence scénique. Alternent ensuite airs élégiaques et épisodes burlesques, avec une magnifique énergie. Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian campe un Othon très touchant qui nous offre de beaux airs de lamentation. Néron, chanté dans un registre très aigu par Jake Arditti, est parfait de cynisme et de cruauté. L’Octavia de Fleur Barron prend des accents de tragédienne en épouse abandonnée, et son air final Adio Roma permet d’apprécier d’admirables pianissimi. Le ténor Miles Mykkanen, qui tient les rôles travestis d’Arnalta et de l’autre nourrice, fait preuve d’une théâtralité comique très affûtée dans des intermèdes burlesques inoubliables. On lui doit également la célèbre berceuse d’Arnalta, magnifique sur son lit de cordes pincées. La basse Alex Rosen campe un Sénèque remarquable ; la scène de sa mort est un des sommets de l’œuvre, entrecoupée de silences éloquents, qui s’achève sur une extraordinaire note finale dans l’ultime grave. Enfin, dans le rôle de la sensuelle Poppée, la soprano américaine Jacquelyn Stucker met sa voix souple et sa plastique parfaite au service de scènes quasi érotiques dans les duos avec son amant Néron. Le dernier duo amoureux, le célébrissime Pur ti miro, est un sommet de sensualité où les tempi s’étirent à l’extrême.
Malgré les scènes dramatiques, le climat général de l’œuvre est celui d’un jeu où les personnages donnent l’impression qu’ils s’amusent. Quatre des chanteurs sont issus de l’Académie d’Aix-en-Provence, et la jeunesse de l’ensemble de la distribution est un gage de fraîcheur et de liberté. Leonardo García Alarcón nous offre ici une version où l’impertinence le dispute au raffinement.
Crédit photographique : © Ruth Walz
(Visited 1 times, 1 visits today)
Plus de détails
Aix-en-Provence. Théâtre du Jeu de Paume. 15-VII-2022. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Le couronnement de Poppée. Opéra en un prologue et trois actes. Livret de G-F Busenello. Version de Venise (1650). Mise en scène : Ted Huffman. Décors : Johannes Schütz. Costumes : Astrid Klein. Lumière : Bertrand Couderc. Avec : Jacquelyn Stucker, Poppea ; Jake Arditti, Nerone ; Fleur Barron, Ottavia, Virtu ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Ottone ; Alex Rosen, Seneca ; Miles Mykkanen, Arnalta, Nutrice, Famigliare I ; Maya Kherani, Fortuna, Drusilla ; Julie Roset, Amore, Valetto ; Laurence Kilsby, Lucano, Soldato, Famigliare II ; Riccardo Romeo, Liberto, Soldato II ; Tribuno ; Yannis François, Littore, Famigliare III. Cappella Mediterranea. Direction musicale : Leonardo García Alarcón