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L’éloge du son, #1 par Denis Dufour

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Denis Dufour (né en 1953) : Intégrale acousmatique ; coffret I ; 44 œuvres, 1977-2020 ; Mélodrames (CD 1 à 3) ; Art radiophonique (CD 4 et 5) ; Suites (CD 6 à 9) ; Tombeaux (CD 10-11) ; Cycle des Acousmalides (CD 12) ; Musique sacrée (CD 13-14) ; Electronica (CD 15) ; Moments musicaux (CD 16) : 16 CD Kairos. Mastering par Denis Dufour assisté par Jonathan Prager. Texte français/allemand/anglais. Durée : 17h34’20 »

Un premier coffret de 16 CD publié par le label Kairos sous le titre Complete Acousmatic Works, Vol. 1. (le second en contiendra 17), une couleur pour chaque disque dans des dégradés subtils de rouge, bleu, vert et jaune, et 18 h de musique enregistrée. Telle est la première étape de l’intégrale acousmatique de Denis Dufour.

Avec près de 100 opus – tous édités chez Maison Ona au même titre que ses œuvres instrumentales – relevant de ce qu’il appelle, depuis 1982, l’art acousmatique, Denis Dufour apparaît dans le paysage des musiques de support comme le fils spirituel de Pierre Henry dont les éditions de la Philharmonie viennent de faire paraître le catalogue. De 1977 (Bocalises – Petite suite) à 2020 (Air), on compte dans ce premier coffret 44 œuvres qui enjambent plusieurs révolutions technologiques, du magnétophone à bande et du synthétiseur sur lesquels le compositeur commence à travailler en 1976 dans les studios du GRM (Groupe de Recherches Musicales) à l’outil numérique dès 1981 et jusqu’à l’ordinateur personnel qu’il utilise depuis 1992 : une technologie de plus en plus sophistiquée et méliorative (en termes de qualité sonore) qui n’en sert pas moins la même démarche expérimentale et les mêmes processus d’élaboration (enregistrement microphonique, synthèse, manipulations sonores, montage, mixage, etc.) à l’œuvre dans chacune des pièces du coffret. « J’ai revu toutes les musiques pour m’assurer de leur qualité », nous dit le compositeur. « Pour certaines œuvres fixées sur bande, j’ai revu les dynamiques dans la mesure où, à l’époque, afin d’éviter les bruits parasites, nous renoncions aux nuances trop faibles lors du mixage final. C’est au moment du concert, en interprétant l’œuvre, que nous baissions les niveaux dans les passages que nous avions pensés p, pp ou ppp. Je n’ai fait que rétablir ces nuances pour la mise en disque ».

Précédant les textes de présentation que se partagent Denis Dufour, Jérôme Nylon et Thomas Brando (les fidèles collaborateurs), une fiche plus technique, précisant date et lieu de création, spécifie également les outils de réalisation, la source des enregistrements et l’auteur des prises de son, sachant que le compositeur, volontiers adepte du partage des tâches, sollicite d’autres acousmates pour enrichir ses « jardins de sons ».

Denis Dufour opte pour un classement par genres avec des catégories proches du domaine des musiques écrites : Mélodrames, Suites, Tombeaux, Musiques sacrée, Moments musicaux. D’autres sont plus spécifiques aux musiques dites « de support » (Art radiophonique, Electronica). Quant au Cycle des Acousmalides (contraction francisée de acousma et Lied), il regroupe six pièces dans lesquelles Denis Dufour s’empare des textes de Thomas Brando « pour en délivrer une interprétation musicale comme l’avait fait deux siècles plus tôt Franz Schubert pour les poèmes de ses amis […] », explique Jérôme Nylon dans la notice de l’œuvre. Si la mention de Thomas Brando figure dans bon nombre de compositions – les textes de l’écrivain-poète suscitant les idées sonores du compositeur –, c’est la voix (celle de Denis Dufour à deux reprises), toujours délicatement traitée, autant que le poème, qui est ici au centre de l’écoute, entre intelligibilité des mots et transmutation sonore de l’objet poétique.

Les récits flamboyants de Thomas Brando sont également au cœur du projet ou constituent le fil narratif des Mélodrames, des œuvres entre moyen et long métrage et toujours voyageuses (Les Invasions fantômes) où la voix, proférée ou tapie, est omniprésente : expression de la multiplicité et de la richesse de la vie (BlindPoint), flux de sensations visuelles et tactiles autant que sonores (Blue Rocket on a Rocky Shore), jeu théâtral acousmatique (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier). De durées appréciables également, mais s’articulant en différents mouvements, parfois même précédées d’un prélude comme dans le genre baroque (Piano dans le ciel), les suites engendrent neuf perles qu’il faudrait considérer individuellement tant l’invention, la virtuosité de réalisation et l’originalité du projet sont ici convoquées. Contentons-nous de citer les plus célèbres, Bocalises – Petite suite, la pièce la plus ancienne du coffret (1977) et œuvre fondatrice de l’art acousmatique dufourien, Douze mélodies acousmatiques (1988) à écouter en boucles et Dix portraits (1984) – ceux de ses proches – tout aussi délectables et constitués uniquement de sons de divers synthétiseurs. Référence à la musique baroque toujours – le compositeur est un admirateur de Rameau ! – le tombeau, en tant que genre musical, rend hommage à un grand homme (maître ou ami) aussi bien de son vivant qu’après sa mort : Chanson de la plus haute tour (2000) est dédié à Pierre Henry qui prête sa voix au texte de Thomas Brando. C’est Karlheinz Stockhausen qui est honoré dans Ebene Sieben : « mon œuvre concrète est redevable de son génie paradoxal », écrit Denis Dufour. Terra incognita (1998), un des chefs-d’œuvre dufouriens, dernière œuvre composée à Crest dans son studio personnel où l’analogique côtoyait encore le numérique, est adressé à Pierre Schaeffer, « l’explorateur qui pose le pied sur une terre nouvelle », nous dit Jérôme Nylon. Nuage de Pierre (1996) est l’hommage post-mortem à l’auteur du Traité des objets musicaux.

Elle est seule dans sa catégorie ; c’est aussi l’œuvre la plus étendue du coffret (115 minutes en deux CD), relevant de l’art radiophonique, un road-movie à la Luc Ferrari où la voix qui raconte s’entend de près, dans une écoute intime du son. Avec Les cris de Tatibagan (2017), le récit passe par la voix (et le rire) d’Hamish Hossain, jeune Indien vivant à Paris depuis 2010, qui évoque, à travers ses souvenirs d’enfance à Tatibagan (un des quartiers de Kolkata en Inde) son éveil au monde des sons, mêlant fraîcheur du propos et poésie indicible. La traduction quasi simultanée en anglais – c’est toujours Hamish qui parle – est comme l’ombre double de cette voix solaire et attachante. Denis Dufour lui donne son aura sonore, illustrant et prolongeant le récit à sa manière sensible autant que jubilatoire : jeux vocaux, polyphonie de muezzins, joute de corbeaux, rumeur assourdissante de la rue ; autant de sources multiples et colorées qui participent de cette éloge du son décliné dans les 16 CD de ce coffret à découvrir et que le compositeur inscrit ici dans le temps long de l’Orient.

L’écoute d’un CD à l’autre se mue en véritable révélation, par la diversité des univers traités et des écritures, d’une œuvre libre, puissante et forte, inspirante et bien souvent très abordable, parfois pleine d’humour, et qui a déjà reçu un accueil enthousiaste puisque, trois mois à peine après sa sortie, le label doit procéder au retirage de 500 nouveaux exemplaires !

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Denis Dufour (né en 1953) : Intégrale acousmatique ; coffret I ; 44 œuvres, 1977-2020 ; Mélodrames (CD 1 à 3) ; Art radiophonique (CD 4 et 5) ; Suites (CD 6 à 9) ; Tombeaux (CD 10-11) ; Cycle des Acousmalides (CD 12) ; Musique sacrée (CD 13-14) ; Electronica (CD 15) ; Moments musicaux (CD 16) : 16 CD Kairos. Mastering par Denis Dufour assisté par Jonathan Prager. Texte français/allemand/anglais. Durée : 17h34’20 »

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