Marion Barbeau, première danseuse dans Faunes
Exceptionnelle dans Faunes, la première création de Sharon Eyal pour le Ballet de l’Opéra de Paris actuellement à l’affiche au Palais Garnier, Marion Barbeau, première danseuse depuis novembre 2018, partage avec ResMusica son actualité et sa fascination pour le travail de la chorégraphe israélienne. Au printemps, on la retrouvera dans En Corps, le prochain film de Cédric Klapisch, dans lequel elle joue le rôle principal, celui d’une danseuse qui passe du classique au contemporain.
ResMusica : Connaissiez-vous le travail de Sharon Eyal avant de répéter avec elle ?
Marion Barbeau : Je n’avais vu que des vidéos et j’ai eu la chance de voir Soul Chain au 104 à Paris récemment. J’ai ressenti une émotion très forte, une excitation énorme, tellement forte que cela me faisait presque rire. J’avais beaucoup d’attentes, car je suis assez obsédée par son travail depuis environ deux ans. Et les sensations étaient vraiment au-delà de ce que je pouvais imaginer. Sharon Eyal et Gai Behar sont assez actifs sur Instagram et j’ai commencé à voir des vidéos d’elle improvisées et cela m’a vraiment fasciné.
RM :Comment se sont passées les premières répétitions pour Faunes ?
MB : Nous avons d’abord fait des auditions où elle nous a exposé sa manière de travailler. Elle met une musique qui l’inspire sur laquelle elle improvise. Elle avait déjà des idées en tête, car elle est familière des Ballets Russes depuis l’enfance. Son improvisation est filmée et nous devions apprendre sur cette vidéo les mouvements qu’elle venait d’improviser. Nous avons tous essayé d’attraper des mouvements d’elle, et évidemment, cela rendait des choses très différentes dans nos corps et dans la façon dont nous l’interprétions. Ensuite, nous lui montrions et elle travaillait directement sur nos corps, et cela se transformait complètement.
Ainsi, à partir d’une matière commune, elle crée des choses très différentes selon qui elle a en face d’elle. Nous avons aussi travaillé avec son assistante, qui fait la même chose, soit nous apprendre des phrases de la même manière. Mais elle a vraiment l’habitude ! Sharon Eyal travaille de manière tellement instinctive. Elle crée un premier montage et en même temps que l’on danse, elle nous parle. Elle met en scène sur le moment. Il faut être très attentif et surtout très adaptable.
« Sharon Eyal dans Faunes s’est adaptée et a joué avec les codes du classique. »
RM : Sharon Eyal a-t-elle dû s’adapter particulièrement à vos corps et vos habitudes de travail ?
MB : Elle avait une profonde curiosité envers nous et elle a vraiment voulu comprendre notre matière et la sublimer à sa manière, car j’ai l’impression qu’elle a beaucoup de respect pour le ballet classique. Elle a joué avec cette matière…
RM : En quoi cette pièce est-elle différente du reste de son œuvre ?
MB : La plupart du temps, Sharon Eyal travaille avec un musicien qui mixe, fait de la techno, de l’électro, travaille avec un beat. Pour Faunes, elle a choisi de ne travailler qu’avec la musique de Debussy, qui est plus flottante. On sent qu’elle s’est amusée aussi avec les codes classiques et qu’elle avait envie d’un rythme plus lent. Il y a aussi quelque chose de très doux, très léger et très solaire, ce qui n’est pas toujours le cas dans ses pièces.
RM : Est-ce le hasard des distributions qui vous a permis de danser dans cette création ?
MB : Aurélie Dupont savait que j’étais assez obsédée par Sharon Eyal. C’est un concours de circonstances, car je devais initialement travailler avec Sidi Larbi Cherkaoui, dont la création qui devait s’insérer dans cette soirée Ballets Russes a été repoussée.
RM : Vous avez également un projet chorégraphique avec Hofesh Schechter ?
MB : Après les vacances d’hiver, je suis engagée dans Body and Soul de Cristal Pyte. In your rooms et Uprising de Hofesh Schechter sont programmés en mars. Les répétitions commencent en février pour une recréation d’In your rooms dans laquelle il veut ajouter des danseurs. J’avais dansé The art of not looking back. Hofesh Schechter est très drôle, très agréable dans le travail. J’aime la force et l’énergie qui se dégage de ses pièces, le côté primaire, tribal et en même temps cette conscience d’un monde au-dessus de nos têtes. Il joue entre ces deux mondes, entre ce rapport au sol, à la terre qui est très présent, et cette quête de l’au-delà. Il y a des choses aussi clownesques, très second degré, il parle beaucoup par images et il y a enfin l’esprit de groupe.
RM : Vous avez pris un congé à l’Opéra de Paris pour participer au tournage du film En Corps, de Cédric Klapisch, qui sortira le 30 mars. Comment s’est passé l’aventure du tournage ?
MB : Cela a duré quatre mois, avec 40 jours de tournage. Le reste du temps était consacré aux répétitions de danse, classiques avec Florence Clerc, avec laquelle j’ai travaillé sa version de La Bayadère, et aux répétitions avec Hofesh Schechter, qui joue son propre rôle dans le film. Je connais Cédric Klapsich depuis plusieurs années, car il est souvent à l’Opéra, sollicité pour des captations et notamment pour celle de The art of not looking back de Hofesh Schechter en 2018. Il m’avait sollicité pour recueillir de la matière pour l’écriture de son scénario. Après le confinement, cela s’est accéléré, et il m’a proposé de passer le casting.
« Tourner un film, c’est moins dur que de passer son temps à danser. »
RM : Que pensez-vous du fait que pour En Corps, Cédric Klapisch ait préféré faire appel à une danseuse professionnelle qui joue la comédie, plutôt qu’à une comédienne qui danse, exactement à l’inverse de Black Swan ?
MB : En tant que danseuse, quand je vois de la danse interprétée par des actrices ou des acteurs, si je salue toujours les efforts, j’ai du mal à y croire. Nous travaillons notre corps depuis si jeunes que c’est inscrit en nous. Quand je mange, quand je dors, je suis danseuse. C’est le regard que Cédric Klapisch souhaitait apporter. Ce qui est bien aussi dans le film, c’est que l’histoire s’inscrit parfaitement dans les moments de danse. Je suis toujours dans le personnage quand je danse, et nous continuons de raconter l’histoire en dansant. Cédric Klapisch a tellement de respect pour la danse qu’il avait vraiment envie que les parties de danse soient les plus sublimes possible. C’est pour cela que non seulement, Hofesh Schechter joue son propre rôle mais aussi toute sa troupe. Les parties de répétitions sont vraiment filmées comme un documentaire, alors que cela a été créé pour le film. A certains moments, on se retrouvait dans un studio et on travaillait vraiment ses pièces.
RM : Était-ce difficile pour vous de jouer la comédie en plus d’être danseuse ?
MB : C’était un challenge, mais je me suis très bien préparée avec une coach, qui m’a accompagné tout au long du tournage. J’étais vraiment mise en confiance, par Cédric et par les formidables acteurs qui me portaient. Cela ne m’a pas semblé insurmontable, en revanche, avec énormément de possibilités de travail. Tourner un film, c’est moins dur que de passer son temps à danser. Émotionnellement, c’est difficile, car il faut être très concentré. Dans les parties de danse, on est au service de la caméra, même s’ils étaient très arrangeants et très à l’écoute. Pour la partie d’Hofesh Shechter, qu’il fallait parfois refaire plusieurs fois quand nous avons dansé à La Villette, c’était un challenge physique, d’autant que comme je jouais beaucoup aussi, je n’avais pas tous les jours le temps de travailler mon corps.
RM : Est-ce une expérience que vous auriez envie de refaire ?
MB : Oui, j’aurais envie de le refaire si on me le propose, même s’il n’y a que du jeu.
RM : N’était-ce pas trop difficile de revenir à l’Opéra et de reprendre un rythme quotidien ?
MB : Non, cela fait tellement longtemps que j’y suis, que c’est comme revenir à la maison. Cela revient vite et comme j’ai très vite enchainé sur la création de Sharon Eyal, qui me porte tellement et pour laquelle je sens que c’est très important pour ma carrière de danseuse, que je suis très reconnaissante de pouvoir accéder à cela.
Le début de la saison était très dense. Nous avons travaillé trois semaines sur Play d’Alexander Ekman, tout en préparant le gala, pour lequel j’ai dû apprendre Brise lames, la pièce de Damien Jalet créée l’année dernière, juste pour une soirée. C’était très intéressant de travailler sa gestuelle. Cela faisait longtemps que j’avais envie de l’aborder.
« J’ai redécouvert le plaisir d’être interprète et l’étendue des possibles de ce métier et c’est plutôt à cela que je me consacre pour l’instant. »
RM : Vous ne me citez que des rôles dans des pièces contemporaines…
MB : Ce qui m’anime le plus, ce n’est pas tant le contemporain, parce que j’adore la technique classique aussi, mais ce sont plus des rencontres humaines. Ceux qui m’inspirent et vers qui j’ai envie d’aller. En ce moment, pour moi, Sharon Eyal est très importante, et j’ai adoré la manière dont elle a utilisé mon bagage classique et ce qu’elle en a fait. J’aimerais bien pousser dans cette direction-là. Pendant le confinement, j’avais imaginé un certain nombre de projets avec Simon Le Borgne, que j’ai mis de côté pour le moment. J’ai redécouvert le plaisir d’être interprète et l’étendue des possibles de ce métier et c’est à plutôt à cela que je me consacre pour l’instant.
RM : Quels sont vos prochains projets en dehors ou à l’Opéra de Paris ?
MB : J’ai un projet de duo avec Laura Bachman, ancienne danseuse de l’Opéra de Paris, puis du L.A. Dance Project et qui a passé quatre ans avec Keersmaeker avant de devenir free-lance et chorégraphe. La première aura lieu en janvier 2023 à Bruxelles. Nous le travaillerons au printemps 2022 et à nouveau à l’automne. Je vais revenir à l’Opéra de Paris entre les deux pour participer à la création d’Alan Lucian Oyen qui avait été supprimée du fait du confinement.
Crédits photographiques : Portrait – Image de une © Julien Benhamou / ONP ; Marion Barbeau dans En Corps © Emmanuelle Jacobson-Roques / Ce qui me meut ; Marion-Barbeau au premier plan pour Faunes de Sharon Eyal © Yonathan Kellerman OnP.
Pour en savoir plus : Octave / OnP https://www.operadeparis.fr/magazine/sharon-eyal-ou-la-fluidite-des-corps
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