Peter Bogdanovich, une icône hollywoodienne à redécouvrir
Parmi les cinéastes du Nouvel Hollywood, Peter Bogdanovich n’était ni le plus brillant, ni le plus célèbre. En revanche, il était peut-être le plus attachant, en tout cas le plus cinéphile.
À côté d’une œuvre qui a commencé à être réévaluée, notamment grâce aux sorties en Blu Ray, chez Carlotta, de The Last Picture Show et de Jack le Magnifique, Bogdanovich a d’abord accompli, surtout à ses débuts, un grand travail de mémoire cinéphile auprès des plus grands cinéastes de l’âge classique, Fritz Lang, John Ford, Howard Hawks ou Orson Welles. dont il fut très proche dans les années 1970 (il joue d’ailleurs un des rôles principaux du film inachevé de Welles, De l’autre côté du vent).
Ce travail a pris la forme d’études, de livres d’entretien ou de documentaires (en particulier Directed by John Ford). De ce point de vue, il fut un vrai passeur mais surtout le trait d’union idéal entre deux âges d’or du cinéma américain. Une figure qui puisait son énergie dans le passé pour mieux s’inscrire dans le présent.
Une succès fulgurant comme réalisateur
Son œuvre de cinéaste, plus abondante qu’on pourrait le croire, témoigne également de son ancrage fondamental dans l’histoire du cinéma américain. Cette carrière de réalisateur commence d’ailleurs par un film sous-estimé, La Cible (1968), dans lequel il met en scène Boris Karloff pratiquement dans son propre rôle, confronté à un vétéran du Vietnam qui tire au hasard dans la foule d’un drive-in. Comme un télescopage entre le mythe et la réalité. Comme une manière d’inscrire son cinéma au cœur d’une confrontation passionnante entre la fiction pure et le réel le plus brutal.
Mais c’est avec son film suivant, La Dernière Séance (1971), que Bogdanovich connaît, très tôt, sa plus grande reconnaissance. Roman d’apprentissage désenchanté situé dans les années 1950, tourné en noir et blanc, ce film très attachant, bourré de chansons country, qui révèle Jeff Bridges et Cybil Shepherd, est ainsi le hit de Peter Bogdanovich et demeure aujourd’hui son grand classique, surtout pour les cinéphiles américains. Huit nominations aux Oscars et deux statuettes remportées pour les meilleurs second rôles féminins et masculins en témoignent.
La suite de la carrière de Bogdanovich ne reproduit pas forcément cette martingale, même si sa reconnaissance connaît un second pic, deux ans plus tard, avec La Barbe à Papa (1973), qui réunit Ryan O’Neal et sa fille Tatum pour un voyage picaresque. Le film, légèrement académique, a cependant moins de charme que La Dernière Séance.
Dans la trajectoire encore méconnue (du moins en France) de Peter Bogdanovich, c’est plutôt du côté de films moins célèbres que La Barbe à Papa qu’il faut chercher les perles du cinéaste. Par exemple, Enfin l’amour (1975), qui a très mauvaise réputation mais qui pourtant, sur un mode mineur, réussit à rendre un bel hommage à l’âge d’or de la comédie musicale sous le signe des chansons de Cole Porter.
Citons également Jack le Magnifique (1979), qui suit, de manière très atmosphérique, la dérive de Jack Flowers à Singapour. Jack Flowers, prince déchu, est interprété par un Ben Gazzara souverain. Ce qui rapproche Jack le Magnifique d’un autre film de la même époque, Meurtre d’un bookmaker chinois de John Cassavetes. Mais le vrai chef-d’œuvre inconnu de Peter Bogdanovich demeure Daisy Miller (1974), peut-être la plus belle adaptation d’Henry James, un film aussi élégant que cruel qui devrait sortir en Blu-Ray dans les prochains mois et magnifie Cybil Shepherd, actrice fétiche et compagne du cinéaste pendant les années 1970.
Une décennie plus compliquée
Au tournant des années 1980, Peter Bogdanovich se trouve mêlé à une sordide histoire de meurtre. Sa nouvelle compagne, Dorothy Stratten, ancienne playmate, est assassinée en 1980 par son ex-mari qu’elle venait de quitter. Au cinéma, l’histoire de Dorothy Stratten sera racontée par Bob Fosse dans son dernier film Star 80 (1983), mais Bogdanovich écrira lui aussi un livre au sujet de cette malheureuse affaire, le vibrant et un peu amer Mise à mort d’une licorne, traduit ces dernières années en français et publié chez Carlotta.
Ebranlé par ce choc violent, Bogdanovich continue tout de même à réaliser des films, parmi lesquels il faut citer l’épatant Et tout le monde riait (1981), comédie policière mélancolique (tournée en réalité avant la mort de Dorothy Stratten), habitée par Ben Gazzara et Audrey Hepburn, dont ce sera l’un des tout derniers rôles, ainsi que Mask (1985), sélectionné en compétition à Cannes, pour lequel Cher remporte un prix d’interprétation bien mérité pour son rôle de mère d’un adolescent au visage déformé par une maladie génétique rare. Le film, suite à un conflit entre le cinéaste et le studio Universal, n’aura pas la reconnaissance qu’il méritait aux États-Unis.
De prestigieux admirateurs
À partir de là, Bogdanovich disparaît peu à peu des radars hollywoodiens. L’époque change et le cinéaste n’y semble plus à sa place. Pour se relancer, il réalise une suite de The Last Picture Show, Texasville (1990), qui reprend les mêmes personnages au milieu des années 1980. Las, le film ne sera même pas distribué en France. Après quelques films plus dispensables, Bogdanovich retrouve un semblant de reconnaissance avec Broadway Therapy (2014), une comédie qui sera son chant du cygne, dans lequel il intègre parfaitement deux figures de la comédie contemporaine, Owen Wilson et Jennifer Aniston ; preuve que le cinéaste n’a pas complètement perdu la main.
Le temps est alors venu d’un début de réévaluation de son œuvre, d’autant plus qu’on a découvert ces dernières années que les films de Bogdanovich avaient des fans aussi prestigieux que Wes Anderson ou Quentin Tarantino. Une véritable réhabilitation que sa disparition risque paradoxalement d’accélérer. En attendant une rétrospective intégrale de son œuvre, on pourra lire l’excellent livre d’entretien que lui a consacré Jean-Baptiste Thoret en 2018. Le titre de l’ouvrage, Le Cinéma comme élégie, résonne encore davantage aujourd’hui.