Pour prendre la mesure de l’urgence climatique, “Le Monde sans fin”, une BD éclairante
CLIMAT —En 2018, Christophe Blain, célèbre auteur des bandes dessinées Quai d’Orsay et Gus, conduit en direction de son lieu de vacances en Normandie sous un soleil de plomb. Pendant le trajet, sa compagne lui lit un article résumant les conséquences apocalyptiques à court terme du dérèglement climatique, évoquant les températures estivales de 50°C attendues à Paris dans trente ans. C’est le déclic pour Blain, qui prend contact sur le conseil de son frère avec Jean-Marc Jancovici, spécialiste reconnu pour sa capacité à rendre accessibles au grand public toutes les dimensions de ce sujet complexe. L’ingénieur a notamment développé au début des années 2000 pour le ministère de l’Environnement la méthode du bilan carbone, qui a permis de créer une norme mondiale pour calculer les émissions de CO2. Il s’est ensuite attaché à sensibiliser le grand public sur l’urgence climatique, militant pour inciter à l’action avec des conférences et des livres.
Aucune énergie n’est propre
Les deux auteurs se lancent alors dans un travail de trois ans, pour livrer aujourd’hui une formidable bande dessinée très complète sur le sujet : “Le Monde sans fin”. Plutôt que de brandir des formules et de multiplier les injonctions moralisatrices, Jancovici construit une démonstration scientifique implacable en partant des besoins de l’humanité, des contraintes irréductibles et des solutions disponibles. Plusieurs dizaines de pages sont ainsi consacrées en ouverture au sujet de l’énergie, rappelant le principe de la loi de conservation : dès lors que l’être humain crée des besoins énergétiques supérieurs à ses propres forces physiques (ce qui est propre aux temps modernes), il est contraint d’extraire des sources d’énergie de son environnement. Jancovici démontre ensuite que si aucune énergie n’est propre (les énergies renouvelables ont toutes des impacts énormes sur l’environnement), elles sont en revanche toutes gratuites ! Le soleil, le vent, le pétrole, le charbon sont des ressources naturelles ; seul coûte le travail humain pour les transformer en énergies exploitables. En revanche, comme chacun le sait désormais, les énergies fossiles accélèrent le réchauffement et sont en voie d’épuisement.
De façon toute aussi implacable, les auteurs démontrent qu’hélas aucune énergie renouvelable n’a remplacé les énergies fossiles : de la même manière que le gaz n’a pas remplacé le pétrole, qui n’a lui-même pas remplacé le charbon, ces sources d’énergie se sont additionnées aux autres, nos besoins croissant avec la société de consommation. Les énergies renouvelables compensent ainsi à peine les nouveaux besoins surgis depuis leur apparition et ne constituent en aucun cas une alternative possible si nous ne recourons pas à la sobriété… Or, depuis une cinquantaine d’années l’augmentation de l’espérance de vie et des revenus, la baisse du temps de travail et l’explosion des loisirs ont multiplié nos besoins. Les voyages notamment, mais pas seulement. Le pétrole s’est imposé pour constituer la base de tous nos produits manufacturés et sert aussi à faire fonctionner les machines pour les fabriquer. Les auteurs s’amusent à recenser dans un appartement ce qui aurait pu être fabriqué sans pétrole (réponse : presque rien !!!) Or, ce pétrole qui aujourd’hui tue la planète à petit feu sera épuisé bientôt, ce qui va poser d’énormes problèmes si nous espérons maintenir notre niveau de vie (on comprend que cette illusion ne tiendra plus très longtemps).
Double peine climatique
C’est la grande qualité de cet ouvrage que de brasser des sujets très différents mais totalement intriqués les uns aux autres (alimentation, transports, urbanisation, démographie, économie…) pour proposer une synthèse qui ne cède jamais à la simplification. De très nombreux chiffres étayent chaque étape de l’argumentation, toujours rigoureuse, en essayant de poser de façon réaliste et lucide des réponses possibles.
Les conclusions des chapitres consacrés à l’exposition de la situation climatique ne sont pas roses. L’accélération du dérèglement amène les auteurs à conclure que des personnes déjà nées devraient se retrouver avant la fin de leur vie “normale” dans un endroit où la survie est impossible à cause de la chaleur, notamment autour de l’Équateur. Ils pointent surtout une double peine : lorsque ces phénomènes arriveront, les ressources fossiles seront épuisées. L’Humanité sera limitée en moyens pour y faire face, armer les secours et acheminer rapidement de la nourriture en cas d’événements climatiques amenés à se multiplier partout et toute l’année…
Le réchauffement et ses conséquences sont comparés sur un plan statistique à la tectonique des plaques : on sait de façon scientifique que le système va casser, mais on ne sait ni où, ni quand. Les auteurs en concluent que pour éviter l’apocalypse annoncée, les émissions doivent être divisées au minimum par trois d’ici 2050 (et l’humanité n’en prend hélas pas le chemin). Jean-Marc Jancovici aborde les différents choix énergétiques possibles pour arriver à cette trajectoire, en abordant aussi bien les mécanismes politiques (des réflexions sur le monopole dans l’énergie et la réglementation européenne par exemple) qu’individuels (alimentation, transports), ainsi que les conséquences sur l’environnement des différents mix possibles.
Il aboutit souvent à des propositions iconoclastes et parfois moins décroissantes que l’on pourrait l’imaginer. Quelques dizaines de pages finales aboutissent à une démonstration pro-nucléaire très convaincante, et avouons-le, assez déstabilisante (tous les arguments anti-nucléaires sont démontés un par un, des ressources en uranium aux déchets générés). Quelle que soit la manière dont chaque lecteur recevra cette conclusion, reste en mains un ouvrage très stimulant, comptant parmi les plus brillantes synthèses qu’il ait été donné de lire pour prendre toute la mesure des enjeux climatiques et des problématiques économiques liées à ce sujet de plus en plus brûlant.
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