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Pourquoi “Madres paralelas” de Pedro Almodóvar fait débat en Espagne ?

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Le dernier film de Pedro Almodóvar déterre les fantômes de l’histoire espagnole : en s’attaquant au sujet complexe et polémique de la guerre civile de 1936 à 1939, le cinéaste acclamé défend ouvertement pour la première fois un propos politique. Une position qui a divisé l’opinion du public et de la presse en Espagne.

Madres paralelas raconte le trajet intime et familial d’une photographe, campée par Penélope Cruz, qui se découvre enceinte la quarantaine passée : en parallèle de cette grossesse inattendue, elle souhaite enquêter sur le passé de sa famille, dont plusieurs membres ont activement participé à la guerre civile qui opposait républicains et communistes contre les nationalistes menés par le général Franco.

Janis fait alors appel à Arturo, un anthropologue qui n’est autre que le supposé père de sa fille, qui accélère les démarches afin de fouiller la fosse commune dans laquelle se trouverait le grand-père de la jeune femme ; le film se concentre ensuite sur les problématiques intimes qui rattachent Janis à sa maternité nouvelle, et notamment sa rencontre avec une autre mère, Ana.

La fin du film, telle une boucle organisée autour du souvenir, revient aux sources familiales de Janis : elle retourne auprès des siens, ou plutôt des siennes, reconstituant la mémoire des hommes morts en 1936 grâce aux récits des femmes de sa famille. Janis, devenue mère, se confronte à son histoire familiale, à l’histoire de l’Espagne qui pleure encore ses morts, enterrés trop tôt, dans le silence. Les derniers plans du film montrent l’excavation de la fosse, toutes ces femmes observant en silence les squelettes recroquevillés des fusillés.

Globalement, les critiques françaises du film sont positives et appuient pour la plupart le geste politique d’Almodóvar, déterrant les morts de l’Espagne pour mieux identifier le problème qui anime la société actuelle autour de la guerre civile. Le Monde loue l’évocation du passé franquiste de l’Espagne, dans un presque soulagement (“enfin”), tandis que nous accueillions avec joie “l’émotion collective” suscitée par la fouille finale et le face-à-face symbolique entre les vivants et les morts.

Une Espagne divisée au sujet du traitement politique de sa mémoire

Le gouvernement espagnol actuel, essentiellement à gauche et présidé par Félix Bolaños, membre du Parti socialiste ouvrier (PSOE), a proposé cette année une loi concernant la mémoire de la guerre d’Espagne, créant un débat énorme au sujet du passé controversé de cet événement : l’idée principale étant de créer un banque ADN visant à une meilleure et plus rapide identification des morts. C’est d’ailleurs le désir de Janis, qui souhaite reconnaître les morts de sa famille, et dont les seules sources sont des ouï-dire transmis de génération en génération. La loi, qui devrait être votée d’ici 2022 selon Le Monde, est perçue comme “totalitaire” et “lâche” par l’extrême droite, ayant la vocation selon elle d’“endoctriner la société”.

C’est donc dans ce climat que fut tourné le dernier film de Pedro Almodóvar, cinéaste identifié de gauche depuis de nombreuses années, notamment sur des questions sociétales et de représentation des identités. Mais comme le rappelle El Español, ce film est “l’un des pires démarrages” de Pedro Almodóvar : le public espagnol ne serait-il pas intéressé de découvrir un récit centré autour de la mémoire historique ? Ou bien le traitement qu’en fait le cinéaste semble-t-il étrange ou hors de propos pour un public n’ayant pas l’habitude de trouver dans son œuvre des positions politiques aussi polémiques ?

Face à cet accueil froid, le cinéaste a répondu, selon le même média : “Si j’ai remarqué une froideur de la part de mes compatriotes, c’est sûrement parce que j’aborde un sujet très désagréable dont ils aimeraient ne jamais parler.” Il a ensuite ajouté qu’il était important pour lui d’adopter un point de vue critique face à l’extrême droite et son révisionnisme de la guerre : “Il était plus que jamais nécessaire de se rappeler d’où nous venions et de contrer le révisionnisme de l’extrême droite. Leurs voix ne sont pas majoritaires, mais ils font beaucoup de bruit et polluent la vie politique espagnole.”

“Nul n’est prophète en son pays

Un autre argument mis en avant par la presse, rapporté par le journal de gauche Vozpópuli, concerne l’ambivalence politique du cinéaste – revendiqué de gauche mais bourgeois. “Le Madrid peint par Almodóvar est terriblement bourgeois, fait d’appartements immenses, même s’il adresse quelques reproches à la bourgeoisie.” Cette ambivalence, voire hypocrisie du cinéaste qui soutient une thèse de gauche tout en profitant d’un luxe et d’une esthétique bourgeois, fait ainsi tiquer une partie de l’opinion.

Une des thèses avancées par Carlos Boyero, célèbre critique espagnol, concerne l’opportunisme du cinéaste au sujet du traitement politique de la guerre civile : “Le film me paraît opportuniste”, déclare le journaliste, sous-entendant qu’un tel sujet, financé sous un gouvernement de gauche, peut être perçu comme un racolage de l’artiste afin de voir son film mieux financé et validé par le gouvernement.

Ainsi, ce que représente le cinéaste pour son pays est à l’opposé de ce qu’il incarne pour un public international : les Golden Globes ont nommé Madres paralelas dans la catégorie meilleur film étranger et le film a fait un très beau démarrage en France, tandis que l’Espagne peine encore à l’accepter.

Quelque chose qui ne colle pas

Enfin, ce qui apparaissait comme l’une des images poétiques et symboliques les plus fortes du film, est perçu en Espagne comme une grande violence : il s’agit du face-à-face entre la fille de Janis et le squelette de son ancêtre. D’après ce qu’a observé T.T., comédienne espagnole vivant en France, “cette scène a choqué beaucoup de gens, qui se sont dit que c’était grave de mettre cette petite fille face à tous ces morts, et globalement, de mélanger cette histoire politique à la question de la maternité. Les gens autour de moi trouvent que ça ne colle pas du tout”.

À l’inverse, Murielle Joudet du Monde déclarait y voir « une image qui pourrait exprimer l’éthique du cinéaste, son idée de la beauté aussi. Pour chaque image de mort, il faut créer, en parallèle, une image pour la vie”.

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