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Le Tire Baton existe depuis plus de deux cents ans. Il permet de se défendre quand la situation l’exige
Esther Mompoint paraît stressée face à la caméra. Elle se demande combien de temps l’entrevue va durer, et elle espère qu’elle finisse vite. À la voir aussi inquiète, on ne se doute pas qu’elle pratique un art martial dans lequel un jour elle pourrait passer maître. Oui, Esther Mompoint est pratiquante du Tire Baton, une technique de combat typiquement haïtienne.
Cet art remonte au temps de la colonie de Saint-Domingue. C’est ce que confirme l’écrivain Lyonel Trouillot, pratiquant du Tire Baton depuis des années. Dans cette discipline, il a le niveau de Maître, et il forme des dizaines de jeunes, dont Esther Mompoint. « Ceux qui ont écrit sur l’époque coloniale, comme Moreau de Saint-Merry, en parlent », assure-t-il. Dessalines, l’un des fondateurs de la nation haïtienne, aurait lui-même été Mèt Baton. Cette technique de combat a pu certainement aider les esclaves révoltés contre l’oppresseur.
Plus de 200 ans après, le Tire Baton est pratiqué dans plusieurs villes du pays, surtout dans le département de l’Artibonite. « C’est là qu’on le pratique le plus, explique Trouillot. Mais on le retrouve aussi dans le Plateau central, ou dans le Sud. C’est un art martial traditionnel, mais dynamique. De nouvelles techniques sont ajoutées de temps en temps. »
Le centre culturel Anne Marie Morissette est l’une des écoles de Baton qui forme jeunes et moins jeunes. Esther Mompoint, Jean Guerby Telusma, et d’autres s’y retrouvent quatre fois par semaine pour s’entraîner à l’un des types de Tire Baton. Ils cherchent à se perfectionner dans cet art martial qui, disent-ils, a changé leur vie du tout au tout.
Une nouvelle personne
Chaque pratiquant a une histoire avec le Tire Baton. Ils ne l’ont pas tous connu de la même façon. Pour Esther Mompoint, c’était un hasard du calendrier. « J’étais venue à un Vendredi littéraire, qui s’est terminé tard. Je suis donc restée au centre. Le lendemain matin, il y avait entraînement de Baton. Je ne le savais pas. Lyonel Trouillot m’a demandé si je voulais participer, j’ai dit oui alors que je ne n’avais aucune idée de ce que c’était », explique-t-elle.
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Pourtant, dès ce premier jour, elle tombe amoureuse de cet art martial. Elle s’y retrouve. Esther Mompoint a toujours voulu savoir se défendre, et c’est ce que lui apporte cette technique. « Je pense que tout le monde devrait apprendre à se défendre, surtout les femmes. Mais je pensais qu’il n’y avait que le karaté, le taekwondo, etc. Et pour moi ils n’étaient pas accessibles. Le Baton m’a demandé du travail, mais jusqu’à maintenant j’aime ce que je fais. »
Cette assurance nouvelle que lui procure la pratique du Tire Baton a changé des réflexes qu’elle avait auparavant. « Si quelqu’un m’agressait, je n’aurais pas su me défendre. Maintenant, oui. J’ai acquis le réflexe de me défendre, et de ne pas subir l’agression. Cela me donne une grande confiance. »
Jean Guerby Thelusma aussi se dit un nouvel homme, depuis que sa route a croisé celle de Lyonel Trouillot, son maître. « Il m’a invité et j’ai accepté. J’ai perdu de mon arrogance depuis que je pratique cet art martial. Je suis devenu beaucoup plus sage. Je ne cherche pas la bagarre parce que j’ai appris à me maitriser grâce au Tire Baton », explique le jeune homme.
Des particularités propres
S’entrainer au Tire baton n’est pas un exercice solitaire, idéalement. Au centre Anne Marie Morissette, les pratiquants s’affrontent, avec respect. À la base, une relation de confiance s’établit entre les machetteurs. « Je ne te frapperai pas. C’est ce que Trouillot m’a dit le premier jour, explique Mompoint. Et en général c’est toi qui te frappes, en essayant de maîtriser le baton. Je suis allée assez vite, mais chacun a son propre temps. »
Un apprenti passe par trois étapes pour acquérir la dextérité, la flexibilité du poignet que requiert le Tire Baton. « D’abord, on apprend à parer les coups. Ensuite, on apprend les techniques pour rendre les coups, et enfin la dernière étape est celle où on nous estime aptes au combat. » Esther Mompoint est maintenant Pwovosal, c’est-à-dire une élève de niveau avancé. C’est un niveau supérieur à celui d’apprenti, qui lui permet d’enseigner les techniques de cet art martial aux autres élèves du centre.
Après ce niveau, si elle continue de progresser, Esther Mompoint peut devenir l’une des rares femmes à passer Maitres du Baton. C’est l’un des objectifs du centre que dirige Trouillot. « Il n’y a pas assez de femmes Maîtres, regrette l’écrivain. Pourtant contrairement à ce qu’on pense, dans l’Artibonite il y a bien plus de femmes qui commencent le Tire Baton que d’hommes. Mais pour une raison que j’ignore, elles ne se sont pas converties en maîtres. »
Pour le profane, le bois utilisé dans les combats de Baton ressemble à celui avec lequel on fabrique des balais artisanaux. Mais le croire, c’est se méprendre. « Le bois s’appelle danno. On fabrique le baton avec le gayak également, mais le danno, appelé aussi bwa fè, est le meilleur. Je ne l’ai jamais vu personnellement, mais on dit qu’il grandit tout droit. On le coupe en prenant soin de garder les racines », explique le Maître Trouillot.
Après la maîtrise du bois, le niveau supérieur est la maîtrise de l’acier, de la machette. C’est le Graal des pratiquants. « Le Tire baton a un principe tranchant, dit Lyonel Trouillot. Donc il faut une lame. Et le niveau suprême est la machette. Mais, il n’est pas donné à tout le monde de l’apprendre. »
Histoire d’une individualité
Pour vulgariser encore plus la pratique de cet art martial haïtien, le centre Anne Marie Morissette a produit un film documentaire. Esther Mompoint est le personnage principal du film. « Je voulais qu’on raconte l’histoire d’une individualité, et sa rencontre avec cet art martial. Je voulais de préférence que ce soit une femme », explique Trouillot.
Si quelqu’un m’agressait, je n’aurais pas su me défendre. Maintenant, oui. J’ai acquis le réflexe de me défendre, et de ne pas subir l’agression. Cela me donne une grande confiance.
La jeune femme se dit honorée d’avoir été choisie pour ce rôle. « Je ne crois pas que mon histoire est plus belle que celle d’un autre pratiquant, affirme la Pwovosal. Mais je me réjouis de l’opportunité de faire connaître le Baton. J’aimerais beaucoup que plus de femmes le pratiquent. Le Tire Baton est dans notre culture. C’est comme si on vous offrait quelque chose qui vous appartenait déjà. »
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Ce documentaire est aussi un hommage à deux hommes qui ont joué un grand rôle dans la vie du jeune Lyonel Trouillot. Leo Cartwight et Mèt Jonas, comme il l’appelle. Les deux ont été ses maîtres de Baton. Leo lui a aussi appris le Tae Kwondo. « Regardez comment la Corée du Sud a fait connaître le Taekwondo dans le monde, dit-il. Ou encore la capoeira brésilienne. C’est de cela que je rêve, car le Baton est aussi beau. »
Envisager l’avenir
En plus du film documentaire, le centre culturel Anne Marie Morissette veut mettre en place des programmes qui exposent le Tire Baton. Dès l’année 2022, certains débuteront. « Nous avons déjà des accords avec une dizaine d’écoles », affirme Lyonel Trouillot. Mais le projet phare est de dénicher des talents féminins susceptibles de devenir Maîtres.
Lyonel Trouillot et ses partenaires rêvent aussi d’aider les paysans à travers le Baton. « Le Maître qui pratique le baton dans l’Artibonite est un paysan. Il produit des denrées agricoles. Alors on peut supprimer les intermédiaires entre lui et les consommateurs finaux qui seraient des pratiquants du baton, qui leur achèteraient ces produits. »
Mais trouver du soutien institutionnel pour ces projets est compliqué. De plus, le Tire Baton ne semble pas avoir bonne presse. « Les gens demandent si ce n’est pas violent, mais ils mettent volontiers un kimono sur leurs enfants, pour d’autres arts martiaux », regrette Trouillot. Faire connaître l’art martial haïtien du Tire Baton paraît un combat plus dur que le bwa danno lui-même.
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