“Solar Ash” : le dernier choc vidéoludique de l’année
“Visiter le vide.” Drôle de programme que celui de Rei, qui file au cœur de décors aux couleurs irréelles dans l’espoir de sauver sa planète d’une disparition annoncée. Drôle de monde, aussi, que cet amoncellement de nuages cotonneux sur lequel elle danse, que ces constructions verticales semblant flotter dans les airs et gangrenées par une étrange matière noire plus ou moins vivante.
C’est un monde d’après, en ruine et privé d’humanité et pourtant monumental et flamboyant. Un “vide” surchargé qu’on traverse en glissant comme s’il n’y avait plus que ça à faire, aérienne et pressée, incrédule mais déterminée. “Personne ne me croira quand je parlerai de cet endroit”, dit-elle. Mais à qui pourrait-elle bien rendre compte de ce qu’elle y a vu ? “On dirait qu’il souffre.”
Jeu total
Avec Hyper Light Drifter, son premier jeu, le studio californien Heart Machine avait déjà fait forte impression, mais Solar Ash est d’une toute autre ambition. Pour commencer, au mutisme de son aîné, le divin enfant de 2021 oppose un goût inattendu pour les mots, qu’ils soient écrits ou dits, quand bien même ils exprimeraient d’abord de l’incompréhension, car dire ne signifie pas forcément éclaircir.
Surtout, Solar Ash s’engage franchement dans l’action-plateforme en 3D, jusqu’à prendre par moments de faux airs non seulement de Zelda mais aussi de Mario (avec ses “niveaux” à l’architecture complexe que l’on cherche à conquérir) et, peut-être plus profondément, de Journey (pour sa manière de surfer à la surface du réel tout en se laissant gagner par lui) et de Shadow of Rei. Mais le style, lui, n’a pas tant changé : il se serait plutôt développé, déployé pour se faire plus total, plus enveloppant.
Balle perdue
Si le parcours auquel il nous condamne (avant de nous offrir au final un choix déchirant) l’apparente à une tragédie, Solar Ash est aussi une expérience sensuelle pas si lointaine de celles des Frenchies de The Game Bakers (Furi, Haven). C’est une affaire de textures et de matières, un voyage du moelleux au tranchant, du chaud au collant. Un jeu de glisse et, en même temps, quelque chose qui touche profondément.
C’est là l’incroyable réussite de du jeu : sa manière, tout en nous laissant très libres de nos évolutions, d’orchestrer un parcours aux allures de grand huit du primitif à l’apocalypse. À l’intérieur, nous sommes comme le bébé qui apprend à goûter, puis une post-humaine gracieuse et aérienne et, pour terminer, la dernière spectatrice de la fin. Parfois fonçant dans une étrange ivresse à travers les restes superbes de ce qui fut sans doute jadis une ville, on se sent soudain comme atteint par une boule d’émotion surgie de nulle part. Une balle perdue mais pas pour tout le monde qui nous guettait. Alors, on ne sait plus trop où on est.
L’héroïne de Solar Ash est présentée comme une “coureuse du vide” (“voidrunner”). On pourrait aussi bien dire une amante du plein, l’ultime maîtresse du tout. De ce qu’il reste, au moins, enthousiaste et sans espoir. Solar Ash est une expérience à part.
Solar Ash (Heart Machine/Annapurna Interactive), sur PS4, PS5 et Windows, environ 40 €.