Victime d’un viol en Australie, elle écrit un livre percutant “pour ne plus jamais la fermer”
Dans un livre-plaidoyer puissant intitulé “Zéro virgule neuf pour cent”, Jeanne Broucq raconte le viol qu’elle a subi en Australie et dénonce les différences de prises en charge des victimes entre l’Australie et la France.
“C’est une bombe qu’on met à l’intérieur de toi, avec un minuteur inconnu, mais c’est sûr qu’à un moment, elle va exploser.” C’est ainsi que Jeanne Broucq parle du viol qu’elle a subi en mars 2018 lorsqu’elle habitait en Australie, et des conséquences qui ont suivi et qu’elle raconte dans un livre à la fois poignant et engagé. Il est intitulé Zéro virgule neuf pour cent (Éd. Les Avrils), en référence à une statistique révoltante: en France, seulement 0,9% des viols font l’objet d’une condamnation aux assises.
Cette histoire, la trentenaire a choisi de l’écrire sous pseudo car, à l’heure de Google, elle ne souhaite pas que son identité soit définitivement associée à cette affaire. Au travers de son écriture cash et brute transpire sa colère, son indignation mais surtout sa détermination: Jeanne Broucq ne se contente pas de décrire le viol dont elle a été victime cette nuit-là, elle parle surtout de l’après. De son réflexe de se rendre au commissariat à sa prise en charge exemplaire par les policier·es et l’hôpital en passant par l’enquête et puis le procès de son agresseur, la trentenaire raconte les différentes étapes par lesquelles elle est passée et souligne les différences de traitement de victimes de viol en Australie et en France. Nous lui avons posé quelques questions.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre?
J’ai commencé à écrire très rapidement pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je savais que j’allais devoir attendre un an et demi avant que le procès ait lieu et il fallait que je me souvienne de mon agression avec le plus de détails possible pour pouvoir la raconter à la barre le moment venu. Ensuite, entre le viol et le procès, il y a eu des moments très difficiles et j’avais besoin de poser les choses sur le papier, ça me permettait de prendre de la distance. J’avais aussi ce chiffre, 0,9%, (Ndlr: 0,9% des viols font l’objet d’une condamnation aux assises en France) en tête avant d’être victime de ce viol, je le trouvais déjà scandaleux mais une fois que c’est arrivé, je l’ai trouvé insupportable. Je me suis rendu compte que si j’avais eu les bons réflexes en allant au commissariat après l’agression, c’est parce que j’avais lu beaucoup de témoignages lors du mouvement #MeToo qui insistaient sur l’importance de porter plainte. D’une certaine façon, je voulais transmettre à mon tour ce qui m’avait été donné d’apprendre quelques mois plus tôt.
Justement, qu’est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment-là?
Au moment où je suis violée, je comprends immédiatement qu’il y a quelque chose qui n’est pas normal et quand le mec s’enfuit de la chambre, il y a des mots qui clignotent autour de moi, je pense « flics », « police », je me mets tout de suite à penser à tous les articles que j’ai lus sur les viols et je sais, avant même de quitter l’appartement, que je vais aller au commissariat.
Dans ton livre, tu évoques la procédure australienne en cas de viol qui est très différente de ce que l’on connaît en France. Peux-tu m’en dire davantage?
D’abord, lorsque je suis arrivée au commissariat, j’ai été très bien reçue. On s’est occupé de moi, on m’a posé des questions pour pouvoir retracer le fil de ma soirée mais à aucun moment, on ne m’a demandé comment j’étais habillée par exemple. Tout le monde est au courant de la procédure en cas de viol donc il·elles savent par exemple que la victime peut aller aux toilettes mais qu’il ne faut pas qu’elle s’essuie sous peine d’effacer des preuves. Ensuite, les policier·e·s m’ont emmenée à l’hôpital pour faire les prélèvements ADN et on est passé·e·s chez moi avant pour prendre des vêtements car il·elles savaient que les miens allaient être gardés pour l’enquête. À l’hôpital, tout le monde a également fait preuve d’une gentillesse incroyable. Une assistante sociale, spécialisée dans ce genre d’affaires, a été appelée et elle s’est levée au milieu de la nuit pour venir me soutenir et être auprès de moi pendant les examens médicaux. En fait, toutes les personnes qui vont intervenir durant cette nuit partent du principe que tu as été victime de ce que tu racontes et à ce titre-là, elles t’aident du mieux qu’elles peuvent. Ensuite, il y a un suivi global, j’ai été mise au courant de l’enquête régulièrement par l’inspecteur, j’ai pu faire des tests pour d’éventuelles MST, j’ai pu avoir accès à des consultations de psys. Et tout ça, sans débourser le moindre centime.
En quoi cet accompagnement t’a-t-il particulièrement aidée?
Au-delà du côté pratique d’une prise en charge matérielle et psychologique, je ne me suis pas sentie seule, j’ai senti que je pouvais faire confiance à tous ces gens et que je pouvais juste me focaliser sur ma reconstruction.
Quinze mois se passent entre le viol et le procès de l’accusé: quels souvenirs gardes-tu de cette période?
Il y a deux phases. La première, j’étais dans un déni total: je me disais que ce n’était pas génial ce qui m’était arrivé mais que ça ne me faisait rien. Puis le déni a explosé, notamment quand je suis rentrée en France et que j’ai été confrontée à ma famille que je n’avais pas mise au courant. Durant cette seconde phase, j’avais le sentiment d’être une coquille vide de l’intérieur et je crois que c’est lié à la nature même du viol, pendant lequel la victime est considérée comme un objet. Je voyais tout en noir, j’en voulais au monde entier et je ne pouvais plus avoir une vie légère.
La procédure judiciaire australienne est très différente de ce que l’on connaît en France… Pas de frais à engager, pas d’avocat·e, interdiction d’évoquer ta vie privée durant le procès…
En effet, il n’est pas nécessaire de payer un·e avocat·e car la victime présumée est considérée comme le témoin d’un crime commis contre la société. Ensuite, durant le procès, il est strictement interdit par la défense d’évoquer quoi que ce soit sur toi qui ne soit pas en rapport avec les faits jugés. La justice australienne se concentre sur la définition du viol, c’est-à-dire un acte sexuel sans consentement, et elle pose donc deux questions: Y-a-t-il eu un acte sexuel? Était-il consenti? Le reste n’a aucune importance.
L’agresseur a été condamné à trois ans de prison, dont 18 mois ferme. Est-ce que ce procès et ce verdict t’ont aidée dans ta reconstruction?
Avant le procès, je voyais tout en noir, je n’avais plus confiance en personne. Ce procès et ce verdict m’ont permis de la retrouver. La société a condamné mon agresseur et a ainsi reconnu qu’un crime avait eu lieu et que j’étais une victime. C’était vital pour moi.
Ton agresseur a été libéré en décembre dernier et tu en as été informée en amont par la police australienne, comment as-tu vécu ce moment?
J’étais un peu angoissée car je me disais qu’il allait me retrouver et me tuer. Puis, j’ai évacué cette angoisse progressivement. Aujourd’hui, j’y pense de façon plus lointaine, je prends les choses de moins en moins à cœur. Mon agresseur a purgé sa peine, je suis rentrée d’Australie, je me suis reconstruite: c’est en train de devenir une histoire ancienne. Ce n’est plus d’actualité pour lui d’être en prison. Ce n’est plus d’actualité pour moi d’être détruite.
Et aujourd’hui, comment ça va?
Très bien. Je considère que cette histoire est désormais derrière moi. Ça ne me dérange pas d’en parler, c’est comme évoquer un mauvais souvenir qui ne me fait plus aussi mal qu’avant. Le viol est un traumatisme difficile, mais il faut qu’on puisse en parler sans avoir peur, sans avoir honte. Aujourd’hui, je m’en suis remise.