Voici 11 lettres d’amour vues au cinéma pour faire le plein d’émotions
De celles que l’on écrit quand on a 13 ans et des étoiles plein les yeux à celles que l’on envoie au crépuscule de sa vie en guise d’adieu, les lettres d’amour ont parsemé le cinéma des plus beaux récits et des plus belles inventions de mise en scène. En voici quelques-unes.
Un des paradoxes du cinéma est sa capacité à nous faire voir et entendre ce qui a un jour été écrit – qu’il s’agisse d’un roman, d’une pièce ou simplement d’un scénario. La sortie, le 15 décembre, du film de Jérôme Bonnell Chère Léa, dans lequel un homme quitté par sa maîtresse décide de se confier à elle dans une longue lettre d’aveu, nous a donné envie de fouiller dans le cinéma pour y trouver les plus belles lettres d’amour du cinéma, autre forme littéraire dont se sont souvent emparé les cinéastes.
Il y a celles que l’on n’envoie jamais, celles qui nous font rebrousser chemin et celles que l’on lit trop tard. Il y a celles que l’on lit face caméra, à un spectateur complice, celles que l’on lit en silence dans un gros plan sur l’écriture d’une machine à écrire. Celles dont on entend la dictée ou la lecture, et celles qui deviennent des aveux terribles, romanesques, tragiques.
The Shop Around The Corner d’Ernst Lubitsch (1940) : “It is Miss Novak.”
Commençons avec une comédie : le talent de Lubitsch pour créer des quiproquos convient parfaitement au jeu subtil du gentleman et jeune premier James Stewart. L’acteur interprète un postier célibataire démarrant une correspondance avec une jeune inconnue. Rien à voir avec le traitement que fera Max Ophüls en 1948 de ce thème – dans son adaptation de Zweig. Ici, l’équation (amoureuse) à une inconnue est un outil comique, puisque la jeune aimée n’est autre que Klara Novak, collègue antipathique de du héros Kralik. Loin de lui avouer sa découverte, il décide de tout mettre en œuvre pour se faire aimer de la jeune femme : ou quand l’amour surgit là où on ne pensait pas qu’il se cachait.
Lettre d’une inconnue de Max Ophüls (1948) : “Je n’ai que toi.”
Une femme inconnue écrit une lettre à un homme célèbre : Stefan Brand est un pianiste séducteur qui voyage partout, accumulant les romances. Au bout de la plume, une jeune femme, Lisa Berndle, amante il fut un temps du célèbre musicien : ce qui n’est pour lui qu’une nuit sans avenir, devient pour elle le plus doux des souvenirs, au point que l’existence de la jeune femme est transformée par cette expérience. Maintenant, il est trop tard : la jeune femme est morte, de chagrin ou d’amour, de sorte que Stefan n’aura jamais compris à temps qui était son expéditrice. Une femme dont l’existence toute entière s’est organisée autour de lui, à son insu, et que seule la mise en scène de Max Ophüls, romantique et tragique, arrive à réparer pendant quelques instants.
Vertigo d’Alfred Hitchcock (1958) : “J’ai commis une erreur. Je suis tombée amoureuse.”
Alors que Scottie se croit presque fou d’avoir retrouvé la blonde platine Madeleine Elster, renommée Judy Barton et aux cheveux désormais châtain clair, cette dernière lui écrit une lettre d’aveu/d’adieu/d’amour pour lui révéler le secret derrière la machination dont il a été la victime. De fait, Scottie croyait suivre l’épouse d’un ancien ami jusqu’à la mort de celle-ci, mais il retrouve par hasard la jeune femme, dont il est entre temps tombé amoureux, dans une rue très fréquentée : il croit à une hallucination, un mirage, un subterfuge. Madeleine/Judy lui avoue tout dans une lettre commentée par la musique de Bernard Herrmann, lancinante et dramatique. La caméra tournoie autour de Madeleine, comme Scottie tourne en rond dans son esprit à la manière d’un vertige, comme la vérité tourne autour du mensonge.
Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (1964) : “Mon amour, je sais que tu m’attends.”
Alors que Guy est parti pour l’Algérie, Geneviève est restée auprès de sa mère, enceinte. Un matin, elle trouve une lettre de son aimé : les permissions ne sont plus autorisées, mais il renouvelle ses vœux et sa promesse auprès de Geneviève. Dehors, une tempête de neige ; dedans, tout est rose bonbon, dans un charme désuet peut-être trop féérique, si l’on regarde la suite du film. La lettre est émaillée de nombreuses références à la mort, la guerre, la dévastation : “Le soleil et la mort voyagent ensemble.” Comme un présage de l’issue du film ; les deux amants se recroiseront plusieurs années plus tard, elle bourgeoise endimanchée, lui pompiste dans une station-service. Cette lettre d’amour est aussi une lettre de déchirement. La tempête dehors, tout comme le soleil de la guerre, sont trop puissants pour les garder ensemble.
Persona d’Ingmar Bergman (1966) : “Elle est sûrement éprise de moi d’une façon charmante et inconsciente.”
Une comédienne perd la parole : afin de se soigner, elle s’isole sur une île désertique et rocailleuse, battue par la pluie et le vent, aux côtés d’une jeune infirmière, Alma. Cette dernière se confie fréquemment à Elizabeth, muette face aux confessions de la jeune femme. Mais un jour, Alma, prise d’une tentation terrible, ouvre une lettre d’Elizabeth adressée à son médecin : elle y découvre qu’Elizabeth soupçonne Alma d’être amoureuse d’elle. Le moment est silencieux, calme, des gouttes rythment le vide, et le visage d’Alma se transforme au cours de la lecture. La relation entre les deux femmes se trouvera bouleversée par cette lettre-pivot, jusqu’à ce plan sublime où les deux visages, de Liv Ullmann et de Bibi Andersson, se retrouvent fondus. Quand Bergman compose une partition féminine où le silence est une variation de la parole autour du désir.
Les Deux Anglaises et le Continent de François Truffaut (1971) : “J’ai une confession à vous faire.”
Dans ce chassé-croisé amoureux, situé au début du XXe siècle dans une Angleterre charmante mais très patriarcale, Jean-Pierre Léaud incarne un jeune artiste français aux mœurs libres et au désir de chair affirmé. Face à lui, la bienveillante Anne et sa timide sœur Muriel se disputent l’homme sans le savoir. La première vivra avec lui la vie de bohème à Paris et au Liban avant de mourir en Angleterre. La seconde, d’abord promise au Français, prendra connaissance du passé de sa sœur mais tombera également sous le charme de l’artiste : dans une lettre terrible sous forme d’aveu, elle lui dévoile sa grossesse et son désir de vivre seule, refusant le mariage qu’il s’apprête à lui proposer. Le visage pensif de Jean-Pierre Léaud découvrant la lettre est vite remplacé par le visage de Stacey Tendeter débitant la lettre face caméra. Ce mode épistolaire deviendra la signature du cinéaste et sera repris par la génération des années 1990, comme Pascale Ferran dans Lady Chatterley.
L’Histoire d’Adèle H. de François Truffaut (1975) : “Je suis ta femme définitivement.”
Adèle Hugo est la fille du plus grand écrivain au monde : pour échapper à l’emprise terrible de ce père monstrueusement et sacrément brillant, elle s’amourache d’un lieutenant, parti très vite pour le Canada. Érotomane, elle s’imagine tout avec lui : le bonheur, le mariage. Mais il n’en a que faire et elle continue de s’accrocher à lui, dépouillant sa famille pour tout donner à Pinson, qui ne la gratifie de rien en retour. Dévastée après qu’il a encore pris la fuite, elle lui écrit une lettre lunaire dans laquelle elle le remercie d’être venu au bref rendez-vous qu’ils ont pu partager : dans cette lettre, elle s’envisage encore aimée et aimante, future épouse du militaire, partageant de beaux jours avec lui. La jeune femme mourra seule, enfermée, oubliée.
Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears (1988) : “Je jure sur ma chasteté.”
Comment adapter un roman épistolaire sans passer par des tirades interminables ? D’autant que, dans le cas du roman de Choderlos de Laclos, le récit est truffé d’un érotisme contenu et sublimé par l’écriture. Stephen Frears a fait appel à Christopher Hampton pour l’adaptation du roman, en prenant la peine de reproduire quelques séquences épistolaires : par exemple, la déclaration d’amour de Cécile de Volanges, jeunes naïve pervertie par l’habile vicomte de Valmont, pour son prétendant le nigaud chevalier de Danceny, ami de Valmont. Cécile, sous les traits d’Uma Thurman à peine majeure, écrit sous la dictée de John Malkovich la plus douce et généreuse des lettres : les deux amants sont nus, l’une écrivant sur le dos de l’autre. C’est la quintessence du caractère sulfureux de l’œuvre de Laclos : déclarer sa flamme à l’un et la consumer avec l’autre.
Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin (1996) : “Je te protège, je pense à toi, je t’embrasse, Esther. »”
Paul aime Esther et Esther aime Paul. Ils s’aiment et se chamaillent à longueur de temps. Mais Paul n’arrive pas à finir sa thèse et il repense beaucoup à sa maîtresse, Sylvia, la meilleure amie de son ami Nathan. Paul quitte Esther qui le prend très mal : alors qu’elle essaie d’oublier Paul, elle lui adresse une lettre, à l’influence truffaldienne. Avançant dans la rue, elle parle droit devant elle à son destinataire, absent. Elle lui raconte son quotidien, ses lectures. Puis, dans un café, la déclaration se poursuit : un lent travelling nous rapproche d’Esther, qui raconte dans sa lettre une autre lettre, cette fois-ci jamais envoyée. Une lettre dans laquelle elle raconte un rêve récurrent, où Paul s’agrippe à elle à la manière d’un enfant seul et qu’elle rassure, cajole, embrasse.
The Hours de Stephen Daldry (2002) : “Je ne pense pas que deux personnes pourraient avoir été plus heureuses que nous l’avons été.”
Pour raconter Mrs. Dalloway, Stephen Daldry a décidé de commencer un film par la fin : celle de son autrice, Virginia Woolf, écrivaine britannique qui s’est donné la mort en 1941. La lettre laissée par l’écrivaine à son mari sert de bande son à l’introduction du film : on y voit Woolf s’habiller prestement, déambuler avec nervosité jusqu’à la rivière. Ses pieds délicats trébucher dans la vase, une pierre à la main : dans l’eau glacée du Sussex, elle se laisse couler. En parallèle, son mari découvre la lettre, une lettre d’une tristesse terrible puisqu’il s’agit d’un adieu. Mais, dans cet orage qu’est la dépression, demeure un rayon puissant : celui de l’amour que porte Woolf à son époux, dont elle dit que “si quelqu’un avait pu me sauver, cela aurait été toi”.
Moonrise Kingdom de Wes Anderson (2012) : “Dear Sam, Dear Suzy.”
Deux préadolescents rebelles, Sam et Suzy, fomentent un plan de fugue sur leur île de New Penzance : c’est lors d’une représentation théâtrale qu’ils ont eu un coup de foudre. Une fois les deux enfants partis, les parents de Suzy enquêtent et découvrent des paquets de lettres secrètement échangées entre eux et écrites avec la plus douce politesse. Dans une lecture croisée à deux voix, où chacun coupe la parole à l’autre, on découvre les vies parallèles des deux fugueurs, chacun s’excluant progressivement de son environnement. Suzy est une rebelle qui se fait suspendre de l’école, tandis que Sam rend la vie de sa famille d’accueil impossible. Pour que cesse l’attente de leur retrouvailles, les deux vont droit au but : “When? Where?” La rencontre aura lieu et tous deux partiront loin de leur famille, de leur vie bornée, de leur routine terrible, pour vivre au grand air leur amour de jeunesse.